"Tu n'as que trop d'eau , pauvre Ophélie, et je retiens mes larmes" — Hamlet, acte IV scène 7

La pièce Ondine, de Jean Giroudoux, mise en scène en 1939 par Louis Jouvet, réinventait ce mythe nordique ancestral d’une Lorelei, d’une nymphe-naïade qui attire vers l’eau au travers du personnage d’une jeune fille, ses parents et sa cour, son amour Hans et la menace du Roi des Ondins. Pleine d’humour, d’onirisme et d’originalité, cette pièce de théâtre m’avait émue, et la réinvention de ce mythe dans le film allemand Ondine de Christian Petzold, me séduisait a priori.


Cette réinvention partait bien : dans une esthétique léchée et lumineuse, au coeur d’un Berlin ultra-contemporain, Ondine, interprétée par Paula Beer — qui, pour ce film a reçu un Ours d’Argent de la Meilleure actrice à la Berlinale, déambule et rencontre l’amour dans la personne d’un scaphandrier, quand l’eau et les puissances aquatiques semblent de plus en plus la troubler. Drôle de synopsis, mais qui s’ancre, sans aucun doute, dans la réinvention de ce mythe, cliché et intemporel car universel et séduisant, d’une femme-naïade, attirante et marine.


Si le film reste admirable par ses qualités plastiques, par la luminosité particulière d’un appartement sur Berlin-centre, par la diction si caractéristique et le discours récité-par-coeur quoiqu’apparemment très spontané d’une guide de musée berlinoise, par l’extrême sensualité  — toute symbolique et en sous-entendus — de la scène-clef où l’eau de l’aquarium se répand sur les deux protagonistes, il n’en reste pas moins décevant sur le fond. Entre vouloir saisir l’essence d’un amour profond, ses allers-retours en train et ses baignades en scaphandre, ou dépeindre— dans un mélange d’onirisme et de réalisme — les influences de fascination et d’attraction du monde marin chez une jeune berlinoise, ou encore faire le portrait d’une jeunesse allemande contemporaine, je ne saisis pas bien le propos, les intentions de Christian Petzold. 
Peut-être un peu rétive au mélange troublant (quoique savant) entre onirisme sous-marin d’une silure mythique et emploi du temps calé d’un Musée d’Urbanisme de la Ville de Berlin, je dois toutefois reconnaître au film quelques qualités, qui font que son visionnage n’est, a posteriori, pas un mauvais moment : plastiquement agréable par une composition léchée, intelligent dans ses transitions et sa construction (notamment par une certaine attention aux lieux, aux répétitions de scène dans le café, ou de scènes dans les mêmes endroits, aux mêmes déroulés afin d’en montrer les divergences, etc.), Ondine reste étrangement drôle, ou fait du moins sourire. Sourire par son utilisation drôlatique et décalée de *Stayin’ alive* des Bee-Gees, rire (à contre-emploi) parfois par le grotesque de ses situations, qui se résolvent comme par magie : pourquoi Christoph, scaphandrier, se réveille-t-il, comme dans une mauvaise sitcom américaine, de sa mort cérébrale ?
C’est en effet un des défauts du film : sous-couvert d’une proximité avec les personnages (notamment avec l’héroïne éponyme, Ondine, filmée en gros plan ou suivie de très près dans ses moindres mouvements), le film ne s’explique pas et pose donc des problèmes de compréhension quant à ses intentions, voire à son intrigue même. Goût sûrement très personnel, mais je n’aime pas voir sans comprendre : les interrogations qui me restaient en tête au sortir de la séance me donnent un souvenir un peu amer du film, qui m’a plutôt plu par sa forme mais réellement déçu par son fond et ses démarches.
Enfin, ce film a le mérite de marquer par l’originalité du traitement de la ville : Berlin des gares routières, Berlin calme, Berlin vert, et des métiers originaux, souvent oubliés au cinéma : scaphandrier et guide de musée, proximité avec le quotidien dans les uniformes du musée ou dans l’outillage (je pense notamment à cette scène où Christoph se fait déshabiller, avec une attention particulière portée à tous les détails, d’une fermeture éclair, des gants, du scaphandre, de la combinaison) du scaphandrier. Un peu hétéroclite dans son propos bien que plaisant à voir, le film me laisse un goût de déception dans la bouche, sûrement à cause d’un épilogue trop long et de questions encore en suspens à la fin, me faisant regretter la verve d’une *Ondine* de Giraudoux, rebelle, marine et révoltée, dont la réplique finale me trotte encore en tête : face à son amour mort, Ondine s’écriait « Comme c’est dommage ! Comme je l’aurais aimé ! ».
CFournier
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le 12 oct. 2020

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Coline Fournier

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