Avec son look de punk avant l'heure et son regard de pervers encore plus flippant que celui du Joker, Alex est un personnage pour qui on éprouve immédiatement du dégoût et du rejet. Véritable psychopathe en puissance, le jeune homme de 14 ans éprouve une attirance particulière pour le viol et l'ultra-violence. Un hobbie qu'il ne pratique pas par contrainte (ici pas d’événement traumatisant qui viendrait expliquer cette passion dévorante) mais uniquement par plaisir. Il aime semer la souffrance et le chaos sur son passage. D'où la musique enjouée de Rossini qui passe en boucle à chaque instant de violence, ou la chanson "Singing In The Rain" que notre héros chante énergiquement dans la maison de l'écrivain, tout excité qu'il est d'enfoncer son gulliver dans la forêt de sa charmante victime.

La première partie suit le quotidien paisible et sans soucis d'Alex, partagé entre ses activités nocturnes, ses parties de jambes en l'air avec des jeunes filles croisées à la fnac du futur, ses moments de franches camaraderies avec ses potos et en particulier avec Dim (Warren Clarke, paix à ton âme) son grand amour refoulé, ses relations mystériouskinesque avec son principal et bien évidemment Ludwig van Beethoven, son autre passion dévorante. La violence et le climat malsain dans lequel se déroule cette partie fut de trop pour nos chers voisins rosbeefs qui décidèrent d'interdire purement et simplement le film durant près de 30 ans. Dès lors, Orange Mécanique se façonna une réputation de film le plus violent de l'histoire et est encore considéré comme tel dans la culture populaire, ainsi que par une grande majorité de ceux qui ne l'auraient pas encore vu.
Grossière erreur. Ce chef d’œuvre de Kubrick était peut-être extrêmement violent lors de sa sortie, mais au jour d'aujourd’hui il ne l'est plus autant que ça. Tous simplement parce que ce n'est pas fondamentalement un film sur la violence, les vraies thématiques seront ensuite développés plus loin dans le récit. La violence n'est pour l'instant présente que pour nous faire détester le personnage principal, rendant ensuite notre attachement pour ce dernier d'autant plus perturbant. D'ailleurs Kubrick s'efforce davantage à nous faire ressentir cette violence plutôt que de nous l'a montré. Ça se traduit par plusieurs astuces de mise en scène, renforçant l'horreur de ce que nous voyons au lieu de tous nous montrer de manière directe. Ce qui fait que même si l'on est pas devant un film extrêmement violent, la réalisation parvient à nous choquer et à nous émouvoir d'avantage.

Passer cela, notre héros se fait heureusement arrêté, jugé et jeter en taule pour 15 ans ! Durant sa détention, un nouveau gouvernement avec une politique plus radical et extrémiste expérimente une nouvelle technique pour corriger les déviances de ses criminels : Le programme Ludovico, un lavage de cerveau qui incite le subconscient du détraqué à assimiler violence et perversion avec souffrance et nausée. Dès lors, chaque fois que ce dernier aura l'intention de faire du mal aux autres, une sensation de souffrance comparable à la mort l’enviera. Une castration psychologique radicale et très efficace. Alex, inconscient du sacrifice qu'il s'apprête à accomplir, se porte volontaire comme cobaye de cette expérience. Tout semble alors résolu, le personnage pourrait vivre une vie tranquille sans faire le moindre tort à personne et l'affaire en resterait là. Seulement il ne suffit pas de mettre quelques détraqués hors d'état de nuire pour que la violence cesse d'exister dans notre monde. Les gens sont d'une cruauté sans limite, ils ne pardonnent pas si facilement le mal qu'on leur à fait et rendraient volontiers les coups qu'ils ont reçus si l'occasion se présentait. Alex en fera la douloureuse expérience. Etant incapable de se défendre, ses victimes vont alors en profiter pour déchaîner leur haine et leur violence à son encontre, passant d’oppressés à oppresseurs. Tous cela étant bien entendu dans le but de souligner l'hypocrisie de notre société, où les sois disant honnêtes gens ne valent guère plus que les criminels.

Si Orange Mécanique se trouve en première position de mon top 10 ce n'est pas due au hasard. Ce film m'a bouleversé jusqu'au plus profond de mon être. J'ai été sidéré par la puissance et l'intelligence de cette oeuvre sublime. Pour moi ce film est juste parfait dans les moindres détails, il n'y a rien à lui reprocher.
-Sa mise en scène ? Kubrick a encore fait preuve d'ingéniosité, utilisant des techniques encore jamais vu à cette époque. De ce fait, même si le film parait moins moderne qu'en 71, il n'a cependant pas prit une ride et procure toujours autant d'émotions fortes. J’apprécie particulièrement la présence de musiques composée à l'aide de synthétiseur. Non contente d'être sublime, cette BO renforce le climat glauque malsain et étrange de l'oeuvre, effet particulièrement visible durant la magnifique scène du lavage de cerveau. Tous ceci créant ainsi une ambiance et un univers unique.
-Le surjeu de ses comédiens ? Que nenni ! On est clairement pas dans une oeuvre se voulant réaliste (ça m'étonne qu'Alex la Biche lui est mit la moyenne d'ailleurs) mais au contraire dans une fable futuriste à tendance satirique. Kubrick se détache de toute notion de réalisme grâce à sa mise en scène par moment très onirique. Par conséquent le jeu des acteurs riches en expressions faciales à la Sergio Leone et aux fortes intonations biens prononcées passe ici comme une lettre à la poste. Mieux, il rajoute du charisme et de la personnalité aux personnages, renforçant ainsi la puissance des scènes réalisées.
-Ces 2h16 de film ? L'histoire est séparée en trois parties distinctes, elle aborde de nombreux thèmes, comportent de nombreuses péripéties et fait tellement évoluer notre personnage principal que notre avis sur lui change du tout au tout. Cependant, le temps passe malgré tout à une vitesse folle. On ne s'ennuis jamais, chaque scène nous scotche par terre et même les moments qui n'ont à priori aucune importance et sur lesquels on s'attarde un peu trop apportent toujours quelque chose au film, que ce soit en terme de développement de personnage, ou d'approfondissement de thématiques secondaires.

Mais si Orange Mécanique a tant d'importance à mes yeux c'est évidemment pour son sublime scénario et les messages sur lesquels il nous interroge. J'ai déjà évoqué l'étude de notre comportement humain et de la violence intérieure qui sommeille en chacun de nous, mais les idées qui me touchent le plus dans ce récit sont celles concernant le programme ludovico. Jusqu'où sommes nous capable d'aller pour empêcher les criminels de nuire ? N'est ce pas s'abaisser à leur niveau que d'appliquer des méthodes immorales et inhumaines pour les corriger ? Transformer un humain en robot et le priver de son libre arbitre, n'est ce pas une arme digne des pires régimes totalitaires ? Et que ce passerait-il si cette solution de dernier recours venait à se généraliser dans les années à venir ? Des thématiques qu'on a déjà vu ailleurs mais qui ne m'ont jamais autant toucher que dans ce film.
Incontestablement, Orange Mécanique est a classé parmi les plus grandes œuvres de science-fiction jamais réalisées. J'ai rarement une fable aussi noire, profonde, incisive et pessimiste où tout le monde en prend pour son grade et où personne ne vaut mieux qu'un autre, pas même Alex. Car même si on est parvenu à prendre en pitié cette pauvre âme désespérée compte tenu de toutes les douloureuses épreuves qu'il a dû traverser au cours de son périple, il n'en reste pas moins inchangé. A aucun moment il n'éprouve de remords ou ne remet en cause sa passion pour le viol et la violence. Pour lui tous cela reste un jeu et il n'est pas près de l'arrêter. D'autant plus lorsque le gouvernement préfère remettre un pervers en état de nuire dans la nature plutôt que d'admettre leur erreur avec le programme Ludovico.

Au passage je trouve Malcolm McDowell excellent dans son rôle. Savant parfaitement jouer les psychopathes flippant grâce à un sourire librement inspiré de celui qu'arborait Norman dans Psychose, sa gueule d'ange et sa voix de jeune adolescent lui donnent également une allure d’innocente victime se qui renforce notre apitoiement pour lui dans la 3° partie de l'histoire.

Je ne peux que vous conseiller de voir ou de revoir ce pure chef d'oeuvre sans modérations. Car il y'aurait encore tant à dire sur Orange Mécanique. C'est le genre de film qui mériterait qu'on s'attarde sur chacune de ses scènes tant leur richesse n'a d'égal que leur ingéniosité. Je suis pas du genre à faire mon Philippe Rouyer en disséquant chaque plan pour retranscrire les intentions du réalisateur au point de sur-interpréter le message de ce dernier. Mais ici tout parait tellement limpide, que vous ne pourrez pas rester insensibles aux messages de ce film. Si c'est le Kubrick préféré de nombreuses personnes c'est aussi parce que c'est à la fois le plus accessible et plus profond. Un film qui l'est presque impossible de ne pas aimer à moins de vraiment faire son difficile ou de n'être tous simplement pas fan du genre. Moi en tous cas il est entré dans mon cœur à jamais et n'a cessé d'y prendre de plus en plus de place à chaque fois que j'y repensais. C'est peut-être pas le meilleur film de l'histoire, j'en verrais peut-être de biens meilleurs à l'avenir mais une chose est sur c'est que celui-là, je ne l’oublierais pas de si tôt et aucun lavage de cerveau ne pourra m'empêcher de ne pas l'adorer pendant encore longtemps.

PS: Un grand merci à Lucie L qui m'a permis de revoir le film en sa compagnie et qui m'a donné envie d'écrire cette critique.
Ah et une dernière chose. Evitez la VF, sauf si vous tenez vraiment à attendre des gosses de 16 ans avec des voix de quinquagénaires.

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le 16 nov. 2014

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Alfred Tordu

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