Oyez oyez braves gens ! entendez donc l'histoire des deux lapins, qui par un jour fort à propos vinrent à échanger sur la considération des œuvres, vantant la vacuité de ce monde, et sur le voyage magique de l'un d'entre eux.


Il était une fois deux lapins. Le premier était un animal célèbre dans toute la forêt, pas bien grand avec la tête dans les épaules il prenait un étrange plaisir à lever les pattes en compensassions en l'air en poussant moult grognements. Il était paléontophile assuré et vantait à qui voulait l'entendre que le Dunkléostéus du Dévonien supérieur avait une mâchoire plus forte que l'Allausaurus Fragilis du Jurassique. Son voisin, plus petit encore, était fort rabougri, vaguement grassouillet, disposait de grandes lunettes bleues sur un museau sans forme et d'une fourrure à la couleur délavée et à l'allure douteuse pareille à celle d'une peluche qui aurait passé un peu trop de froid à la machine à laver.


Tandis que le pelucheux travaillait à sa liste de films bien moisis qu'on se regarde par un dimanche pluvieux [ici], son compagnon lui jetant un regard plein d'innocence l'interrogea en ces mots :


"Ho hé du compère, j'ai vu que vous notâtes fort bien mal l’œuvre Bubba Ho-tep [du sieur Don Coscarelli], vous fûtes bien dur avec pareille production" sous-entendu pensa le premier qu'il serait de bon aloi de réviser son jugement. Étant un animal magnanime celui-ci consentit à relever la dite note d'un point à la moyenne afin de ne pas froisser ce dernier, n'ayant à son égard aucune antipathie et permettant par ailleurs de garantir, si besoin il y avait, la sérénité des terriers.
Mais tout allait bien au bois joli ! les rayons chauds du soleil illuminaient un ciel limpide, les oiseaux gazouillaient sur les branches accueillantes, les écureuils gambadaient sur le sol moussu, et bien d'autres encore profitaient des buissons par ce beau jour de printemps.


Observant alors les affaires du sieur peluche son ami dinophile renchérit :


"Et dites-moi mon bon ami, avez-vous déjà prévu une date afin de poser un œil sur Over The Top où intervient le bien fameux Stallone ? ce à quoi le lapin lui répondit en ces termes
- Oh fort bien cher voisin, voilà donc une création que j'avais oublié, bien mal m'en prend, néanmoins j'aurais voulu voir d'autres interprétations de l'artiste au préalable, que voilà une bien belle occasion !
- Oh ne déroutez pas à vos choix, vous m'en verriez bien obligé, que vous aimiez le sieur Sylvester Stallone est déjà en soit une bonne chose
- Que nenni, c'est tout décidé cher compagnon ! cette semaine sera placée sous l'égide du fort musculeux et huileux 'Sylvestre' et de ses œuvres profondes et poignantes !"


Ainsi donc était parti sur l'heure le lapin à la liste, chargé de son devoir, à l'abordage d’œuvres de son sujet. Il était bien sûr armé d'une connaissance fondamentalement, il avait comme tout un chacun vu les Rambo et avait passé une bonne partie de son enfance à regarder les cassettes de Rocky dont le troisième opus avait laissé chez lui une marque indélébile tant moralement par l'interprétation saisissante d'un Mister T en vilain boxeur que physiquement par l'interprétation qu'avait pu faire un coin de la table basse du salon d'un direct du droit de Mister T à destination de son front.


Son voyage le mena vers des contrées inconnues, découvrant des choses qu'il n'aurait pu soupçonner, mais la première de ses étapes se fit au port de "Copland", un film d'action policier sur une ville policière ou un policier, shériff débonnaire et naïf de cette même ville, se retrouve dans un complot entre membres de la police contre la police des polices avec un autre policier auquel il arrive moult péripéties, avec un De Niro en policiers des policiers et Keitel en policier tout court... un produit fort flou, surtout quand il advint que le policier qui était à la source de toutes ces manigances se trouvait être à la fois policier et policé par la police et la police des polices en police qu'il est n'était pas policée par la police tout court des pas policiers des policiers...


Ce fut flou. Ainsi flouté, un peu floué il fila d'un pas fort plein d'entrain vers ce qui devait être la prochaine étape de son voyage. Partant à l'ouest il le vit sauvage et fut fort choqué de trouver en ces lieux son héros en des terres si hostiles et vit à son grand étonnement d'une lueur étrange pareille à l’haltérophile tenant la marguerite délicate entre ses mains. La surprise fut ainsi totale lorsque F.I.S.T. s'annonçant de son affiche comme une nouvelle démonstration des biceps de son personnage principal s’avéra être un fort bon film sur une célébrité de la lutte pour les droits sociaux aux États-Unis, la production lui parut dès lors sympathique, étonnante, il en fut séduit et pu reprendre alors son glorieux voyage.


Marchant d'un bon pas, traversant la campagne, il jeta un œil à sa carte et constata qu'avant d'atteindre son antépénultième étape il lui faudrait au préalable emprunter un certain tunnel : Daylight de Rob Cohen. Un tunnel de l'amour véritable qui se changea en quelques secondes en tunnel de l'ennui. A ses yeux la lumière se fit rare et son regard plein d'émoi contempla les rares lueurs de l'entrée derrière lui qui s'éloignaient tandis qu'il s'enfonçait un peu plus dans le marasme fade et mou d'une œuvre qui ne semblait jamais devoir finir. Les heures passaient la suivante identique à la précédente et les personnages creux et sans âmes y compris celui joué par le musculeux héros se succédaient dans une éternelle suite, tous moins charismatiques les uns que les autres dans une lutte pour devenir le personnage suivant à décéder ce qui semblait ne jamais devoir arriver. Au bout de plusieurs heures le lapin contempla son cadrant solaire portatif, constatant à son étonnement que celui-ci s'était arrêté et préférant s'en remettre à la ligne ligne du temps méta constata qu'il n'avait vu qu'une heure, et qu'il lui restait encore trente et six longues minutes.


Trente-cinq minutes... trente-quatre... trente-trois... le lapin envisageait alors de commettre l'acte ultime, se coupa les veines avec son épluche carotte espérant que l'étourdissement qui en suivrait lui apporterait la douce délivrance qui lui permettrait de tenir jusqu'au bout. Tout juste entendit-il une ou deux punchlines, une scène de hurlement désespérée tandis que sonne le glas de l'infernal tunnel !
Puis cela arriva. S'extirpant de son clapier immonde il entendit la douce musique du scénario tel le mauvais trip qui prend fin, tel le moment le plus doux de sa journée, tel le rayon de soleil qui réapparait dans sa vie, telle la douce brise qui rafraichit le pauvre mineur après sa journée à avoir frappé du charbon.


Étourdit, harassé, usé, il s’assied un instant sur un rocher et se posa la question légitime : était-il digne ? la fin n'était plus très loin mais saurait-il seulement l'atteindre ? pourquoi ? ne serait-il pas plus humain (enfin lapin) de simplement s'en remettre au monde en se disant que jamais pareil lapin pelucheux n'aurait su arriver plus loin ? Après tout il y avait tant de grands films à découvrir, combien de 10/10 avec recommandations pourrait-il encore distribuer ? d'ailleurs combien de films de cette trempe dont il ignore seulement l’existence pourrait-il encore découvrir ? la vie d'un lapin est si courte et cela fait déjà si longtemps qu'il n'a plus vu de telle production...


"Non ! je l'ai promis ! jamais je ne dois revenir sur une promesse !" Pas lapin qui s'en dédit, la créature aux grandes oreilles reprit dès lors son fardeau et sa quête.


Arrivé non loin de son objectif, il observa alors le travail d'un fakir renommé, Cobra de George Pan Cosmatos. L’œuvre au diapason de ses origines de film d'action des années 80 lui évoqua ces réalisations sans limites typiques de l'époque, rappelant tantôt ces films au groupuscule mauvais et aux idéologies mal définies, tantôt ces anti-héros jusqu'auboutistes, armés de leur verve implacable et d'un fusil gros calibre bien décidés à apprendre aux principaux antagonistes qu'il serait fort tolérable de revenir aux frontières de la loi sous peine de se voir offrir une décharge de tromblon dans les plus brefs délais. L’œuvre était générique mais énergique, simple et efficace comme se devait d'être toutes bonnes œuvres, regardable par jour du seigneur d'un neurone fatigué. Sans limites, l'esthétique tant musicale que dans ses péripéties n'était néanmoins pas sans gout et coiffé d'une paire de toutes beauté le Stallone alors présent offrait à ses yeux un spectacle de vacances agréable un paquet de maïs soufflé à la main, la publicité bien peu subliminale aidant il se consola de son envie de soda sucré par le contenu de gros rouge de sa gourde qu'il avait emportée avec lui pour le voyage.


Le sourire aux lèvres et le pompon frétillant, c'est alors de grande humeur que l'animal pénétra pour la dernière fois dans le monde merveilleux de l'étalon italien pour son ultime étape : Over The Top, le bras de fer.


En lançant le générique le pelucheux contempla un moment sa liste, tant de films déjà vus maintenant dans la filmographie de ce grand acteur, chaque film vu rapprochant un peu plus de la fin, du moment où il les aurait tous vus, il aurait tant à faire après mais pour l'instant il devrait se contenter de cela.


L'animal se lança. Dès les premières minutes il savait ce qu'il allait voir. Il se rappela qu'il n'avait passé qu'une fois un test pour le diabète et avait été heureux de constaté que malgré une alimentation peu saine son sucre était peut-être un peu trop bas. Nul doutes qu'après ce film la quantité de guimauve avalée saurait le faire passé dangereusement dans le jour et il n’eut aucune surprise quant au déroulement du film qu'il trouva par ailleurs il peu fade mais pas mauvais, rappelant à son enfance de doux souvenirs d'une soirée d'été un peu fraiche où lui petit lapereau regardait avec passion l'éternelle rediffusion de grande vacance de Rocky, oh c'était gentil, mais il n'était pas retourné de l’œuvre qu'il avait tant attendu, un peu déçu aussi. L'esprit du lapin s'envola alors en de multiples circonvolutions : avait-il pris son billet de retour au terrier ? ne devrait-il pas penser à acheter du café demain ? est-ce qu'Arlette Laguiller pratiquait le Sudoku ou plutôt le Scrabble ? Tant de questions distancielles jusqu'à une scène, jusqu'à LA scène !
Il se rappela alors cette scène, ces méchants "bras-de-feristes", le fou, la brute, le noir, le roux ! tous étaient là, il reconnu cette scène qu'il avait vu et compris d'où lui était venu cet étrange souvenir plus tôt. Il souriait comme un enfant sourit à Noël, énervé et fatigué mais heureux, usé mais prêt à tout pour ne pas dormir, bref heureux.
Mais à quoi bon ? Tout cela se déroula puis bientôt se finit, certaines scènes furent entachées, d'autres semblèrent simplement mal gérées, l'histoire s'embourbait dans ce qui semblait être un aveux d'échec quant à sa construction, peut-être aussi n'était-elle pas assumée ?


En sortir du film le lapin se regarda dans la glace. Il avait réussi. Il pourrait alors dire à son confrère qu'il l'avait fait, qu'il était allé jusqu'au bout et qu'il pourrait alors lui résumer en pareil terme : "Cher ami que voilà un produit bien, mais bien sommaire, je suis cependant heureux de l'avoir pour la dernière scène qui m'a rendu fort heureux ainsi que pour toutes les apparitions dans le camion où notre héros fait des tractions de son bras droit uniquement ce qui laisserait à terme penser à une défaillance de développement sur le bras gauche."


Enfin donc le lapin pourrait s'en retourner à son terrier, s'enfoncer le pompon dans un fauteuil moelleux et murmurer à son propre sujet : "Mission accomplie".

Crillus
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le 29 mai 2016

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