Au premier coup d’œil, quand même étonnant que ce film, un violent pamphlet contre la bourgeoisie, soit autant célébré dans les nombreux festivals où elle pullule. Étonnant et un peu dérangeant ; de fait, en quittant la salle, j'ai comme un goût amer en travers de la gorge. D'une part, j'ai pas passé un moment désagréable : c'est drôle, parfois tendu, parfois touchant, très bien rythmé de manière à ce qu'on ne s'ennuie jamais ; d'autre part, j'ai pas vu le chef-d’œuvre dénonciateur qu'on acclame partout.
Ce qui me gêne déjà avec Parasite c'est que c'est avant tout une démonstration. En matière d'écriture : rien de superflu, tout est minutieusement réglé pour servir la mécanique bien huilée du film ; de même dans la réalisation, gérée d'une main de maître ; et dans le montage, calé sur le rythme de la musique (classique), calibré à l'instant près (voir la très bonne vid du Nerdwriter sur la séquence de la pêche). Ralentis fluides et élégants, cadres symétriques, lumières braquées, rien qui déborde, et même quand il brise les règles, c'est seulement pour mieux prouver qu'il les maîtrise : ainsi, il n'est pas inclassable, mais multi-classable, pas indéfinissable, mais au contraire il colle tour à tour parfaitement aux définitions des différents genres auxquels il emprunte : comédie, épouvante, drame, thriller.
Mais surtout, ce qui me gêne avec Parasite, c'est que c'est un film trop abstrait. Là où beaucoup acclame cette démonstration, elle me fait grincer des dents, parce qu'il en résulte je trouve un paradoxe : ce décalage invraisemblablement choquant entre la forme et le fond.
Alors que le film se veut une œuvre corrosive, dénonçant la bourgeoisie, qui exigerait de laisser éclater à l'écran la vie, la révolte, tout dans la mise en scène trahit une évidente pulsion de maîtrise de la part de Bong Joon-ho, un refus de perdre le contrôle.
De même il s'illustre par son refus de traiter le réel ; aucun personnage n'existe, ils ne sont que des pions sur le grand échiquier du cinéaste, qui les place ingénieusement au gré des stratagèmes pour s'incruster dans la famille bourgeoise. Entendre que le film ne s'attarde que peu voire pas sur la vie de ces personnages, sur leurs habitudes. BJH n'a aucune envie d'être dans le documentaire, mais purement dans le symbole.
Symbolisme constant, jamais de vécu ou de réalisme, donc à mon sens la forme « film » perd de son sens. C'est davantage le BJH diplômé de sociologie que réalisateur qui s'exprime. Adoptant la posture distante du scientifique, il délaisse celle du cinéaste, et donc choisit l'analyse, la généralité, là où le propre du cinéma me semble bien davantage être l'immersion et le ressenti, le particulier, (ce qui est sans doute discutable mais explique en tous cas mes reproches).
Donc, inévitablement la forme ne parvient jamais à s'accorder avec le fond (je vais faire semblant de laisser à BJH le bénéfice du doute et partir du principe que c'est dû à des choix peu judicieux, mais sa mise en scène, ses interventions beaucoup plus modérées que le message apparent du film, son empressement de participer à toutes sortes de festivals et les projets dérivés autour du film désignent surtout une certaine complaisance).
Bref : ce bon Bong semble se contredire, sa prise de position esthétique étant clairement celle de l'académisme (un des films les plus cinématographiquement parfaits qui soit) et ainsi de la bourgeoisie qu'il prétend dénoncer. Le propos, tiraillé entre une forme et un fond tous deux incompatibles, se dilue dans une pure généralité abstraite.
Cette impression amère que j'ai en sortant de la salle, c'est ainsi celle d'avoir regardé davantage une démonstration qu'un film ; d'avoir vu un propos servir une mise en scène, et pas l'inverse. D'avoir assisté à un film pour bourgeois gentiment indignés, un film dénonciateur absolument inoffensif, un film parfait et vain.