Qu'il est bien délicat de regarder un film encensé positivement par la critique et couvert de récompenses prestigieuses, sans se conditionner dans un système d'attente très élevé face au film en question… En s'efforçant toutefois de conserver un regard limpide, PARASITE est un film qui mérite qu'on s’y intéresse et qui, selon moi, mérite ses différents prix.
Tout d’abord le scénario est particulièrement prenant: le film s’ouvre sur un moment de vie typique de la famille Kim, dans un quartier très populaire d’une ville sud coréenne. Les dialogues vont bon-train, la trivialité de la situation nous permet clairement d’identifier les personnages protagonistes, les liens qu’ils entretiennent, et surtout la catégorie sociale dans laquelle cette famille se situe. Plus tard mais assez rapidement, nous découvrirons la famille Park. Et puis, les deux familles seront amenés à se côtoyer d'une manière on ne peut plus subtile et particulière.
Les bases sont données, les premières cartes du scénario vont s’abattre et se suivre dans une certaine logique qu’on se plait presque à anticiper; mais un grand coup de bluff scénaristique va venir troubler le coup monté qui s’est tramé jusque là, et ce qui va s’en suivre sera sans doutes surprenant.
On distingue, il me semble, deux "périodes" dans le film, qui vont toutes deux avoir un rythme, un déploiement et une issue distincte. Bien que la première partie du film permette de suivre un cheminement largement identifiable et clair, le « twist » scénaristique qui fait basculer de la première à la seconde période nous tient en haleine jusqu’à la fin. Et par twist, j’entend un réel évènement qui transforme totalement l’univers et l’ambiance générale. Nous étions dans l’intérieur lumineux d’une maison d’architecte grandiose, voilà nous basculons dans un mystérieux sous-sol froid rempli de mystères et de secrets très bien gardés. Les repères que l’on pensait s’être appropriés sont chamboulés. Cet évènement marque la fin d’une période dans le film et dans la vie des deux ( ou trois, plutôt ?) familles: on sait désormais que plus rien ne sera comme avant pour personne, mais surtout on se surprend à imaginer que le film n’a pas fini de nous surprendre, puisqu’il vient de le faire magistralement. Ce déploiement, cet élargissement du champ des possibles du scénario tout du long est donc très plaisant.
Comment parler de PARASITE en passant à côté de la prodigieuse qualité esthétique qui y règne ? J’admire l’architecture contemporaine et dois avouer qu’il est particulièrement agréable de découvrir pièces par pièces, scènes par scènes et situations par situations, l’intérieur de la maison de la famille Park, aux espaces gigantesques (je suis notamment en admiration absolue sur les escaliers menant au sous-sol) : l’attention est portée au détail dans cet intérieur qui donne le vertige, mais également dans l’enchainement des plans et scènes; et d’ailleurs plus généralement dans les cultures nord-asiatiques.
Et en termes de détails, l’appartement de la famille Kim n’échappe pas à la règle, puisqu’il incarne le contraire extrême de la maison d’architecte des Park. Espace minuscule où les membres de la famille se marche presque dessus, contraints de tenir leurs portables à bout de bras pour espérer trouver une miraculeuse barre de réseau, le tout agrémenté d'une salubrité qui laisse à désirer et de la présence (non sans clin d’oeil au titre et à ce qu’il veut réellement soulever) de "parasites" justement…
Alors, on se sent plus mal à l’aise chez les Kim, forcément: il est vraisemblablement toujours dérangeant d’être face à des réalités lointaines mais pourtant bien concrètes, dont on préférerait parfois ignorer l'existence. Et là encore, le film n’a de cesse de nous surprendre et de nous secouer ; si PARASITE possède une qualité scénaristique et visuelle saisissante, ce film nous confronte directement à des considérations et des questions sociales qui règne toujours (et depuis toujours): le dualisme opposant les riches des pauvres. Tout dans le film nous renvoie constamment à ces considérations: la situation et l'inscription géographique distincte des deux familles, ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, les sujets de conversations et le ton qu’ils emploient entre eux, leurs moyens de faire face à une inondation. Le film fait reposer sa force (sans trop de difficulté) sur la mise en scène de cette asymétrie des classes dans une gradation croissante tout au long de l’histoire, jusqu’au moment où tout bascule et renverse l’équilibre instable depuis une quarantaine de minutes: les pauvres craquent, les riches crient, une pauvre meurt, un riche aussi, les pauvres encaissent et les riches fuient.
Le scénario se renouvelle, les images et la photographie du film épatent, le casting est agréable, PARASITE est une comédie-noire qui vaut le détour et que je prendrai plaisir à revoir pour en saisir bien d’autres subtilités.