Critique : Passion (par Cineshow.fr)

Depuis 2007 et Redacted (auréolé du prix de la mise en scène à Venise la même année), Brian De Palma n’avait plus fait parler de lui. Visible régulièrement aux projections presse sur Paris ou autres festivals Français, l’un des plus grands cinéastes des années 80/90 semblait préférer le charme de la retraite aux chemins des plateaux. Autant dire que lorsque le projet de Passion fut annoncé, c’est non sans une certaine impatience que nous attendions de découvrir le film. Remake direct de Crime d’Amour, dernier et malheureusement très médiocre dernier film d’Alain Corneau, Passion semblait taillé pour l’univers de De Palma tant il synthétisait les thématiques du cinéma qui avait fait sa gloire. Thriller, meurtre, scénario tortueux, soupçon d’érotisme, relations amoureuses ambiguës, autant de sujets que le script du film d’origine évoquait mais qui n’avaient pas été traité avec le talent nécessaire dans le premier essai. Fort heureusement pour nous, Brian De Palma a fait le ménage dans les idées d’origines pour ne garder que l’essentiel à savoir la relation perverse entre les deux femmes au cœur de l’intrigue.

Ce qui frappe en premier lieu dans Passion, c’est l’aspect totalement hors du temps de ce thriller qui sort en 2013 mais aurait pu presque sans changement être distribué 20 ans plus tôt. Comme si l’effet des années ou des tendances actuelles n’avaient eu aucun effet sur le réalisateur qui inscrit son film directement dans les lignées des Pulsions et autre Body Double. Un sentiment exacerbé dès la première minute par la musique omniprésente de Pino Donaggio (déjà à la baguette pour le dernier cité) aux tonalités que l’on n’avait pas entendu depuis des lustres et qui détemporalise totalement l’action même si quelques téléphones portables et sites internet trahirons l’encrage dans les années 2010. Mais outre la forme et la mise en scène qui se voient également appliquer une couche vintage (en dépit parfois d’une image un peu lisse), c’est surtout dans le fond que Passion rappelle la grande époque de De Palma.

Avec ce thriller 100% féminin, papy Brian s’adonne à toutes les figures de style qui fondent les piliers de ses plus grands films. Le jeu pervers auquel s’adonnent Rachel McAdams en patronne d’agence de pub multinationale et Noomi Rapace, en bras droite manipulée puis manipulatrice, suit un schéma extrêmement classique mais particulièrement efficace dans sa montée en pression crescendo voire exponentielle. Là où le film de Corneau tentait au passage et bien maladroitement une critique du capitalisme qui n’avait aucune raison d’être là, la version de De Palma va directement au coeur des enjeux et se focalise uniquement sur le jeu dominante / dominée. Une entreprise qui fonctionne grâce aux interprétations sans faille des deux actrices idéalement castées et qui enterre haut la main le duo initialement formé par Kristin Scott Thomas et Ludivine Sagnier dont la direction inspirait la tristesse. Et si parfois Passion se révèle un peu ronronnant ou auto-citationnel, ce n’est que pour mieux emmener les spectateurs avec le personnage de Noomi Rapace, passant par à peu près tous les stades émotionnels. Un panel de sentiments que De Palma maîtrise sur le bout des doigts et parvient à faire ressentir à ses spectateurs par une mise en scène certes déjà vue mais diablement efficace, surtout dans un finish en forme d’apothéose empruntant presque à l’image près certaines scènes de ses anciens films.

Pourtant, malgré ses innombrables qualités, Passion n’est pas exempts de défaut à commencer par un script qui manque à de nombreuses reprises d’ambition et d’ampleur. L’histoire si elle contient comme évoqué tous les éléments essentiels au cinéma de De Palma, n’arrive jamais au niveau des ses monuments en demeurant par moment très voire trop classique et pas suffisamment tordue. Pourtant, les deux personnages féminins auraient dû imposer au cinéaste un traitement plus sale, plus tordu, plus pervers. Vu avec un peu de recul, Passion parait parfois trop propre sur lui, y compris dans son imagerie froide et bleuté. Exemple par le concret, l’inévitable scène de douche positionnant le spectateur en voyeur demeure irrésistiblement grand public, bien loin de l’introduction érotique qu’un Pulsions pouvait donner 30 ans plus tôt.

Avec le temps, De Palma semble s’être assagit sans avoir rien perdu de son talent de mise en scène et de l’ingéniosité du montage. Brillant dans son ensemble, impressionnant de maîtrise, Passion est arrivé dans les salles de manière presque confidentielle mais signe un retour pas fracassant du réalisateur de 72 ans mais franchement savoureux. On attend désormais avec une impatience revendiquée son prochain projet que l’on espère plus ambitieux !
mcrucq
7
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le 18 févr. 2013

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Mathieu  CRUCQ

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