"Persona", sans doute l'un des films les plus "ultimes" de Bergman, ou en tout cas celui qui concilie le plus audacieusement recherche formelle et explorattion de la psyché, commence presque comme un exercice de style "lynchien" : une rafale d'images et de sons déstructurés, avec certaines insertions subliminales, qui posent le contexte, soit l'obscurité du Mal, la lumière du Cinéma, et au milieu le Sexe. "Persona" va donc s'approcher du gouffre absolu de l'âme, en utilisant le cinéma - et bien sûr, avant tout, deux actrices sublimes (Liv Ulman et Bibi Anderson, toutes deux belles à se damner...) que la direction d'acteurs de Bergman va porter à l'incandescence.


Après une présentation de la situation (une actrice mutique, une "soignante" qui a la tâche de l'accompagner dans un retour possible à la "normale") stylisée et théâtrale, on plonge dans la psychanalyse sauvage, au bord de la mer, en plein été suédois. Le tout mis en scène et filmé (Sven Nyqvist au sommet de son art) comme le Cinéma a oublié qu'on pouvait le faire depuis les sommets des années 60. "Persona" est un chef d'oeuvre passionnant, harassant, enchaînant des scènes inoubliables, flirtant avec l'expérimental sans aucune gratuité - comme dans la remarquable répétition d'une même scène en forme de champ / contre-champ...


Bien entendu, même si le sens du film n'échappera à personne, au moins deux interprétations sont possibles : confrontation de deux déséquilibres qui vont s'attirer, se repousser, et peut-être finalement se compenser ? Ou bien conflit interne entre la "persona" (le masque qui permet d'après Jung de vivre en société) et l'âme, chacun ayant son visage, visages qui ne cessent d'ailleurs de se superposer, se compléter, s'anéantir et s'enrichir mutuellement ? La réponse à cette question - que Bergman ne pose d'ailleurs pas - n'a aucune importance. Seul compte d'avoir entrevu, filmé comme jamais (même si "Mulholland Drive*", dans un style différent, s'aventurera clairement sur le même territoire...), la douleur d'être humain au coeur d'un monde cruel et insensé (le Vietnam, le nazisme, en figures de l'Horreur...).


Et le spectateur hypnotisé, se retrouve aussi ravi par ce qu'il a vu - au bord de la jouissance , en fait - que désemparé lorsque le film déraille et que la lumière s'éteint. Aux prises avec son admiration pour Bergman et livré à ce doute cruel : y a-t-il un visage derrière le masque ?


[Critique écrite en 2020]

Créée

le 6 janv. 2020

Critique lue 399 fois

25 j'aime

Eric BBYoda

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