Paul Thomas Anderson est de ces fascinants cinéastes à la filmographie quasi-intégralement composée de grands films souvent devenus cultes. Les attentes autour de son dernier né sont donc gargantuesques surtout que ce Phantom Thread pourrait s'imposer dans une mouvance plus mineure de son cinéma. En 2002, après avoir achevé sa trilogie chorale existentialiste avec l'immense Magnolia qui suivait le sympathique Hard Eight et le très bon Boogie Night, Anderson faisait une pause en s'attaquant à une rom-com atypique mais plus discrète au sein de son oeuvre. Comme un point final en forme de parenthèse à son premier triptyque. Phantom Thread est le successeur de son Punch-Drunk Love, venant marqué le point final et la parenthèse après sa fabuleuse trilogie sur l'Amérique.


A l'image de Punch-Drunk Love, c'est d'une romance qu'il va s'agir ici sauf que Paul Thomas Anderson va la traiter avec le même souffle désespéré et mélancolique qui traversait ses grandioses There Will Be Blood et Inherent Vice, et son un peu moins bon The Master. Phantom Thread s'impose donc comme la continuité mais aussi le renouveau nécessaire à son cinéma. Changeant de décors pour provisoirement quitter l'Amérique et ses dérives et nous plonger dans une Angleterre mondaine en quête de chic et d'une perfection illusoire. Récit empli de faux semblant qui présente l'amour comme une lutte acharnée pour gagner les faveurs de l'autre, où la cruauté devient le maître mot. Amour et haine, souffrance et plaisir devenant des notions qui s'entremêlent pour ne former qu'un tout obsessionnel. L'amour et le besoin de plaire est une obsession que le scénario se plait à décortiquer avec un décalage comique souvent savoureux et trouve souvent une vérité assez sombre et délectable sur les rapports humains notamment à travers ses succulents dialogues. Véritable réflexion sur la création et la place de l'Homme dans ce qu'il crée, que ce soit une émotion ou une oeuvre, Phantom Thread prend souvent la forme d'un gigantesque film d'ego aussi vénéneux que terriblement passionnant.


Paul Thomas Anderson n'a probablement jamais signé film plus personnel que celui-là et porte un regard sur lui-même implacable. Il se confronte avec le regard de sa propre popularité et dessine les contours d'une relation aussi néfaste que vitale. L'histoire prend souvent des tournants inattendus et joue d'un second degré raffiné qui aboutit à une conclusion brillante qui s'entremêle à travers deux portraits de personnages saisissants. Une histoire d'amour où la faim devient désirs charnels, la mort souffle de vie et la destruction un acte de création. L'humain n'est que le carburant de l'esprit pour sa propre démagogie. En ça, Anderson s'entoure d'un casting irréprochable qui donne vraiment de sa personne. Daniel Day-Lewis ne se sera jamais autant confondu avec le personnage qu'il interprète. Monstre de créativité qui s'immerge totalement dans son travail, il offre une performance bluffante et taillée sur mesure qu'il élève au rang d'art. D'une complexité et d'une richesse rare, son jeu est d'une insondable beauté qui montre définitivement qu'il est un acteur à part et trouve ici le parfait écrin pour prendre sa supposée retraite. En face, Vicky Krieps n'est pas en reste et impressionne par sa transformation qui la voit avec justesse passé de la volupté de l'innocence à la froideur et l'assurance. Une grande actrice en devenir.


Paul Thomas Anderson signe aussi une mise en scène raffinée et élégante, s'occupant pour la première fois dans un de ses films de la photographie, il compose des plans de toute beauté avec un travail sur les lumières léché et un impeccable sens du cadrage. Phantom Thread est beau à en pleurer, et s'imprègne d'un classicisme virtuose. Anderson ne cherche pas la complexité d'un mouvement de caméra mais au contraire se fait plus contemplatif. Filmant son récit comme un mystère, il impose un rythme lent et crée une ambiance feutrée pour que le spectateur s'y love dans un faux sentiment de sécurité. Dans cette beauté froide que cache le film, se trouve un joyau de cinéma qui n'a peut-être pas l'intensité viscérale des anciennes oeuvre de Paul Thomas Anderson, mais qui possède une maturité, une profondeur et une complexité qui surpasse instantanément cela. Accompagné d'un montage acéré et d'une flamboyante musique de Jonny Greenwood, on se retrouve face à une pépite visuelle et sonore.


Phantom Thread est sans conteste le nouveau chef d'oeuvre de Paul Thomas Anderson. Même si il n'est pas aussi tétanisant qu'un There Will Be Blood, il trônera assurément au dessus de la filmographie insolente d'Anderson qui ne sait faire autre chose que signer de grand moment de cinéma. Complexe, vénéneux et aride dans sa forme et son fond, le film pourra laisser beaucoup de monde sur le carreau dont certains qui regretteront l'époque plus généreuse de Anderson. Ici le cinéaste assoit clairement sa mue d'un cinéma plus austère, en quête d'une profondeur bien plus trouble que l'effervescence et l'énergie de ses débuts. Il signe aujourd'hui avec Phantom Thread un film plus mature et personnel, et le signe avec une somptueuse maestria qui derrière son récit brillant et savoureusement décalé, sa mise en scène chirurgicale et son fabuleux casting se trouve assurément une grande oeuvre.

Frédéric_Perrinot
10

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le 18 févr. 2018

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