J'ai mis un peu de temps à me décider à le voir, je ressors plutôt satisfait de ma séance bien qu'un peu circonspect, je m'attendais à quelque chose de grandiloquent (je ne regarde que très peu de bande-annonce depuis un certain temps), mais le calme relatif du film et l'ambiance assez apaisante bien qu'un peu froide a fini par me faire reconsidérer ce que je voyais à l'écran.
La virtuosité formelle du film est indéniable, il y a une excellente photographie et quelque chose de fascinant émane de la mise en scène.
Comme pour Henri-George Clouzot dans La Prisonnière, il semblerait que ce soit une retranscription du réalisateur presque à la manière d'un biopic. A vrai dire je connais assez peu le cinéma de PTA ainsi que sa personnalité. Mais je veux bien croire qu'un auteur comme il semble l'être y mette du sien dans ce genre d’œuvres où l'on met en scène un créateur acharné dont la rencontre avec une jeune femme va bousculer sa vie.


Quel plaisir aussi de voir un univers assez peu exploré au cinéma et qui pourtant donne souvent de grands moments esthétiques et est un lieu approprié pour faire de la mise en scène : le milieu de la haute couture traditionnelle de Londres dans les années 50 et plus précisément le fonctionnement d'une maison de couture, ainsi que l’ode à la beauté féminine. Nous avons eu quelques films plutôt récents sur des couturiers ou sur le prêt-à-porter, mais jamais dans la discipline traditionnelle comme le montre Phantom Thread, c'est un excellent point.


Pas besoin de détailler pourquoi le film est très bien. C'est un vrai effort de cinéma, il y a une sorte de dualité entre ce que l'image tente de nous faire passer et ce que les acteurs disent. Les acteurs parlent très peu en substance, il y a beaucoup de moments de silence (notamment la fin) et des jeux de regards. Les acteurs sont tellement incroyables qu'ils arrivent à faire dialoguer une scène sans parler, rien qu'avec leur regard ils transmettent autant d'émotions comme je n'ai rarement vu ça dans un film, mention spéciale à Lesley Manville qui est juste formidable avec son air sévère dans le rôle de la protectrice soeur de Daniel Day-Lewis. Ces émotions toujours accompagnées de très belles musiques, comme une sorte d'hommage aux vieux films muets.
Certains éléments sont également pleins de références pour le public le plus cultivé, la séquence avec le personnage de Barbara Rose et son mari clairement inspiré par Porfirio Rubirosa, et la vente des visas pour les Juifs ressortissants des camps de réfugiés après la guerre (je soupçonne d'ailleurs le personnage d'Alma d'être juif puisqu'il n'est pas fait mention de ses origines, sauf pendant une scène où elles ne sont pas précisément indiquées), ce sont des petits détails mais qui donnent un côté immersif au film, sans que celui-ci exagère ses références et tout en restant fidèle à son fil conducteur.


Ce fil (fantôme) conducteur qui poursuit l'oeuvre tout le long, l'amour se transformant en emprise, en possession, avec une progression dramaturgique intéressante.


J'ai cru comprendre que cela serait le dernier rôle de DDL, c'est un très bon choix - tout comme l'ensemble de sa carrière - dans un rôle de perfectionniste esthète absolument incroyable. Un vrai artiste. Un film beau, cultivé et raffiné. Quel dommage cependant, et c'est ce qui me rend un peu perplexe, qu'il soit si formellement académique et qu'il n'a pas énormément d'audace en matière de jeux de mise en scène, c'est un film qui se poursuit du début à la fin sans grande surprise ni renouvellement dans la manière d'accompagner son spectateur. Un peu dommage, mais agréable cependant.

Polyde
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le 12 mars 2018

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