Possessions
La grande couture est une affaire d’orfèvrerie, un art délicat qui demande une minutie, un calme, un silence monacal. C’est dans cette vie-là, au côté de sa sœur Cyril, que Reynolds Woodcock a décidé...
Par
le 15 févr. 2018
129 j'aime
4
Il la visualise vêtue d’une de ses robes, l’admire, fasciné par ce que la femme peut procurer à l’homme.
Acteur le plus « oscarisé » avec 3 titres de meilleur acteur, Daniel Day Lewis n’en finit plus de sublimer son jeu d’acteur pour nous offrir à l’approche de la cérémonie une nouvelle performance exceptionnelle. En allant voir Phantom Thread, je ne suis pas allé voir le nouveau film de Paul Thomas Anderson mais un film avec Daniel Day Lewis en rôle principal. C’est là sa force. Sa gueule suffit à aller voir ces films.
L’écriture de l’histoire d’« amour » entre le couturier Reynolds Woodcock et sa muse, l’élégance des costumes et leur mise en lumière, et l’ambiance sonore sont les atouts de ce long-métrage. Les compositions musicales de Jonny Greenwood nous transportent facilement dans l’univers du créateur et de son époque. Elles nous bercent et s’éclipsent toujours au bon moment lorsqu’il s’agit de laisser s’exprimer les personnages dans des dialogues de regards silencieux, semblant tout nous dire et en même temps cherchant à nous perdre dans un vacarme émotionnel.
Phantom Thread explore l’acte de création de l’artiste introverti, égocentrique, patient et perfectionniste, méticuleux et obsessionnel. On est très vite plongé dans sa routine, en quête de la satisfaction ultime. La caméra prend le temps de contempler les étapes de son travail tout comme elle aide le spectateur à y comprendre aussi la part de lâché prise. Une scène magnifiquement interprétée vient nous en donner un exemple. C’est dans le hall de cet hôtel qu’il fait la connaissance de ce qui sera sa muse, celle qui changera sa vie.
Amoureux inconditionnel de son travail, Daniel Day Lewis interprète l’artiste qu’il est impossible de voir se détourner de son organisation millimétrée, essentielle à son renouvellement créatif. Mais cette serveuse l’intrigue, il la regarde, la contemple, la sculpte du regard, en dessine la personnalité comme les caractéristiques de son corps. Il la visualise vêtue d’une de ses robes, l’admire, fasciné par ce que la femme peut procurer à l’homme. Assis seul devant son petit-déjeuner, il semble persuadé d’une chose, comme étant face à une évidence.
Les regards se croisent, le dialogue silencieux opère entre les deux personnages. Nul mot ne serait utile à la compréhension de la situation. Le lien est fort, viscéral, prématuré mais si puissant ! Cette scène est la première d’une longue série traduisant une histoire passionnelle qui se passe de mots. Un lien charnel qui ne s’explique pas. Un amour qui semble impossible tant l’attachement du couturier à ses robes relègue sa relation amoureuse au second plan. Reynolds Woodcock semble hanté par cette peur de se retrouver dévoré par sa muse, celle qu’il est allé cherché, et qui l’a suivi, celle qu’il admire puis celle qu’il méprise, celle à qui il voue un culte puis celle qu’il regrette d’avoir rencontré. Celle qui bouleverse son quotidien. Celle qui a changé sa vie.
Cette atmosphère troublante est mis en scène de très belle manière. Très peu de dialogues sont utiles entre eux, les regards et le silence pesant suffisent. Chacun exige de l’autre quelque chose qu’il est impossible d’avoir, et pourtant, c’est ce qui les lie.
La scène la plus importante du film et que je retiendrais toujours, aussi majestueusement mise en scène qu’interprétée, montre un Reynolds Woodcock perdu dans ses pensées, sans envie, froid et triste, à table, observant sa muse lui faire à manger. La puissance de cette scène est telle qu’on observe pour la première fois l’acteur laisser sa femme prendre les commandes. À ce moment précis, c’est elle qui décide et qui prend les devants dans leur relation. C’est elle qui, enfin, le détourne pour mieux le contrôler. Dans cette séquence d’une rare intensité émotionnelle, c’est elle qui le contrôle.
Le coup de grâce, c’est lui qui le porte. Il accepte enfin son destin. Cette supériorité qu’il pensait unilatérale est ici balayée, au prix des nombreux efforts de sa femme. Elle l’a enfin, son moment à elle.
Son moment entre elle et lui. Et plus leurs moments entre lui et elle.
PAC
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 19 juil. 2018
Critique lue 157 fois
D'autres avis sur Phantom Thread
La grande couture est une affaire d’orfèvrerie, un art délicat qui demande une minutie, un calme, un silence monacal. C’est dans cette vie-là, au côté de sa sœur Cyril, que Reynolds Woodcock a décidé...
Par
le 15 févr. 2018
129 j'aime
4
Il y a quelque chose d'étrange dans Phantom Thread ainsi que dans la carrière de son auteur Paul Thomas Anderson, l'impression d'une rupture avec ce qu'il a pu réaliser jusque-là, lui qui traverse...
le 17 févr. 2018
64 j'aime
17
Phantom Thread figurera sans doute tout en haut des tops 2018 point de vue technique, tant sa réalisation frôle la haute couture. Ca tombe bien puisqu'on est pile dans le sujet du film. Minutie de...
le 20 févr. 2018
57 j'aime
12
Du même critique
Un chef d’oeuvre d’abnégation. Une certitude inexplicable. Nominé dans la catégorie « best documentary » aux Oscars, Free Solo raconte avec passion le rêve d’un homme. On entre dans l’intimité d’Alex...
Par
le 27 févr. 2019
13 j'aime
Étouffant. Le coeur bat et s’apprête à rompre. L’atmosphère dérangeante est lumineusement mise en scène par une réalisation sous exta. Midsommar, c’est une insolation nocturne glaçante d’effroi, dans...
Par
le 25 août 2019
4 j'aime
Le chef d’oeuvre du mois : One Cut of the Dead de Shin’ichirô Ueda. En deuxième position, One Cut of the Dead (« Ne Coupez Pas ! » en France), est certainement le film que personne n’attendait. Qui...
Par
le 2 juil. 2019
4 j'aime