« Ce film n’est pas du style policier. L’auteur s’efforce d’exprimer, par des images et des sons, le cauchemar d’un jeune homme poussé par sa faiblesse dans un aventure de vol à la tire pour laquelle il n’était pas fait. Seulement cette aventure, par des chemins étranges, réunira deux âmes qui, sans elle, ne se seraient peut-être jamais connues. »


Avec cette mise au point introductive typiquement Bressonienne, Pickpocket appartient aux films les plus influents de son auteur, et boucle une décennie riche, commencée par un Journal d'un curé de campagne (1951) d'après Georges Bernanos, et Un condamné à mort s'est échappé (1956). On notera d'ailleurs en préambule, le film ne faisant pas ombrage du destin dramatique de son personnage principal, que ce dernier, et en guise de faux fil conducteur, se conclue à l'inverse de son aîné de 1956 par la prison et la fin de la liberté.


Paris, Michel (Martin La Salle) est un jeune homme solitaire vivant dans une chambre de bonne insalubre. Ses seuls amis sont Jeanne (Marika Green), la charmante voisine de palier qui vit dans le même immeuble que la mère de Michel, et Jacques (Pierre Leymarie), qui tente en vain de l'aider à trouver un « vrai travail », car Michel est pickpocket. Passant la majeure partie de son temps dans les espaces publics et autres champs de courses afin de subvenir à ses maigres besoins, Michel est depuis peu sous la surveillance d'un inspecteur de la police (Jean Pélégri). Convaincu par l’idée que des hommes puissent échapper aux lois du fait de leur supériorité, Michel ne peut plus s’empêcher de voler à la tire.


« Rien n’est plus faux dans un film que ce ton naturel du théâtre recopiant la vie et calqué sur des sentiments étudiés ». De ce constat, le cinéaste dresse un long-métrage marqué par le non-jeu, réfutant le jeu marqué et faussement naturel des acteurs professionnels de l'époque, au profit d'un jeu réel basé sur ce qui « est » et non pas ce qui « paraît ». Ton monocorde, absence de jeu emphatique, les interprètes, à l'image du raide et inexpressif Martin La Salle, offrent aux spectateurs ce qu'attend Bresson : l'inmontrable en s'appliquant à montrer des images « insignifiantes ». De ces personnages opaques, le réalisateur en tire un conte moral aux frontières volontairement floues et ambiguës, où les morales individuelle (Michel), religieuse (Jeanne) et policière vont peu à peu s'effacer au profit d'un nouvel ordre moral, le pickpocket jouant ainsi le rôle du révélateur de conscience.


Maître à penser de la jeune Nouvelle vague, le pouvoir de création du cinéaste passe avant tout par un montage adéquate et très travaillé. La scène du train où Michel et ses deux complices dérobent à la chaîne les portes-feuilles des voyageurs est à ce titre, en plus d'être techniquement brillante, le parfait exemple du véritable travail créatif énoncé par ce réalisateur influent.


Inspiré librement par les thèmes de Crime et Châtiment de Dostoïevsky, et en attendant les adaptations de Bresson d'Une femme douce (1969) et de Quatre nuits d'un rêveur (1971), Pickpocket y reprend en particulier le même principe que des individus supposés supérieurs pensent être au-dessus du droit moral et social. De même, l'antihéros de Camus, Meursault, dans L’Étranger de par ses rapports avec sa mère et son détachement apparent à la vie n'est pas sans évoquer Michel avant sa rédemption finale.


Porté par un mystérieux et fuyant Martin La Salle et une angélique Marika Green, Pickpocket, s'il pourra dérouter par ses partis pris formels, n'en reste pas moins un classique du cinéma.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2013/04/pickpocket-robert-bresson-1959.html

Claire-Magenta
8
Écrit par

Créée

le 4 avr. 2013

Critique lue 398 fois

3 j'aime

Claire Magenta

Écrit par

Critique lue 398 fois

3

D'autres avis sur Pickpocket

Pickpocket
Bouquinages
7

L'art de faire les poches

Pickpocket s'ouvre sur le texte suivant : « Ce film n'est pas du style policier. L'auteur s'efforce d'exprimer par des images et des sons le cauchemar d'un jeune homme poussé par sa faiblesse dans...

le 3 mai 2012

36 j'aime

1

Pickpocket
Cinemaniaque
6

Critique de Pickpocket par Cinemaniaque

Ce qui est paradoxal, et en même temps porte préjudice au film, c'est sa contradiction interne. J'entends par-là que Bresson, dans sa logique cinématographique, veut d'abord donner un film à...

le 6 juin 2011

16 j'aime

Pickpocket
Hugo_P
8

Critique de Pickpocket par Hugo_P

Pickpocket, une activité assez fascinante, mais pas très cinématographique, pour une raison simple, le but étant de ne pas se faire voir. Pourtant Bresson en offre une vision intéressante. Sa mise en...

le 9 nov. 2010

11 j'aime

Du même critique

Low
Claire-Magenta
10

En direct de RCA

— Si nous sommes réunis aujourd’hui messieurs, c’est pour répondre à une question, non moins cruciale, tout du moins déterminante quant à la crédibilité de notre établissement: comment va -t-on...

le 7 mai 2014

20 j'aime

8

Sextant
Claire-Magenta
9

Critique de Sextant par Claire Magenta

La règle générale voudrait qu'un artiste nouvellement signé sur un label, une major qui plus est, n'enregistre pas en guise de premier disque contractuel son album le plus expérimental. C'est...

le 28 juil. 2014

18 j'aime

Y aura t-il de la neige à Noël ?
Claire-Magenta
8

Critique de Y aura t-il de la neige à Noël ? par Claire Magenta

Prix Louis Delluc 1996, le premier film de Sandrine Veysset, Y'aura t'il de la neige à Noël ?, fit figure d'OFNI lors de sa sortie en décembre de la même année. Produit par Humbert Balsan, ce long...

le 19 déc. 2015

16 j'aime

1