Du "frenchy" Alexandre Aja, on a connu ses débuts fulgurants (et un peu casse-gueule) dans un genre que le cinéma français ne semble pas particulièrement affectionner, ainsi que ses débuts fulgurants (et toujours casse-gueule) dans un genre que le cinéma américain affectionne tout particulièrement. Tout est dis. Dans ce glissement de territoire ciné-ethno-matographique, on a bien senti que Aja avait enfin trouvé une eau dans laquelle il pourrait dorénavant nager sans s'asphixier. Pari non tenu: en trois films, le déclin s'amorce inéxorablement pour en arriver au pire. Explication.

En signant le remake du The hill who have eyes, Aja semblait chercher un nouvel espace pour sa fabrique à atrocités avec comme ligne d'horizon un anti-américanisme primaire dilué dans une formule paradoxalement pro-américaine. La mayonnaise ne prenait pas, ratant au passage de magnifiques idées (l'espace autour de la caravane avant qu'elle n'explose, qui aurait pu devenir l'emblême du cirque américain d'alors; cf: Bush/Irak) pour nous en tartiner d'autres, beaucoup plus lourdes et préoccupantes (le démocrate devenant républicain "pour sauver sa famille", voir notamment le déclic sur l'utilisation des armes à feu; le coup du drapeau américain planté dans la tête, symbole grotesque d'une amérique qui plante à tout va, peut importe où elle plante, c'est l'Amérique, etc....).

Avec Mirrors, mettant en scène le trop rare Kiefer "Bauer" Sutherland au prise avec de démoniaques....mirroirs, Aja trouvait peut être un sujet plus subtile et s'aventurait dans un récit qui ne l'exposait pas pleinement à la mayonnaise dont il semblait s'accoutumer. L'Amérique était encore en vu, certe, mais en reflet. Tours de force, prouesses techniques et effets sur effets: un vide finissait par trouer le final de son métrage.

Aja semblait faire de l'invisible (la radioactivité de The Hill..., les forces fantômatiques de The Mirrors qui arrachent une machoire plein cadre sans qu'on ne les voient...) une réthorique intéressante de sa mise-en-scène, une sorte de contre-champ permanent de ce qui était offert à l'image. Discours et contre-discours. Images et contre-images. Performances et contre-performances.

Le vide est finalement devenu un gouffre dans son dernier long-métrage, une brêche plutôt: jolie réminiscence de The Mirrors au beau milieu d'un océan. Ca tombe bien, l'eau ça reflète (et ça pose également de gros problême de scintillement à la stéréoscopie 3D). Il y a une brêche, mais aussi, une fois encore, une Histoire (la pré-Histoire en l'occurence, dont on ne sait pas très bien ce qu'elle évoque autrement que le point de départ de la culture cinéphilique d'Aja, à savoir le Piranha de Joe Dante).

Et puis il y a les discours / contre-discours: l'Amérique, c'est l'argent, le pouvoir, le sexe, la jeunesse, un espace immense, une technicité, la merveille du spectacle 3D pour nous rendre tout ça. Mais c'est aussi la fin de la civilisation : springbreak sur le mode de l'anéantissement.
Il y a les images / contre-images: des jeunes bimbos décerébrées et inoffensives contre la mère furieuse, puissante et gravement couverte d'un uniforme.
Il y a les performances / contre-performances: des acteurs en roue-libre et des personnages empruntant à la solidité du cinéphile (cf: Richard Dreyfus reprenant son rôle à l'exact de Jaws ou bien encore Eli Roth incarnant un personnage libidoneux, forcément voué à mourrir violemment; et puis le génial Christopher "doc brown" Lloyd, en vieux sublime, rendu anecdotique de manière abérrante, ce qui est une sacrée contre-performance!).

La mayonnaise est ici devenu rouge sang: il y a en a des hecto-litres (dont on est pas sûr qu'elle laissera les lieux de tournage intacte: sorte de tâche indélibile sur la réalité). Le visible et l'invisible s'alternent (les piranhas en action, sous l'eau, et les dégats visibles des piranhas au-dessus de la surface). On comprend bien, dès le départ, qu'il y a quelque chose à tenter pour Aja. Et d'ailleurs, cela commence plutôt bien .Prenant son temps, le réalisateur expulse les stars en titre du film lors d'un incipit passablement long, posant tout cela, énumérant chaque dispositif, se distinguant des productions actuelles dans le rythme d'avancement du récit.

Très vite, rien ne tient. Le film tombe l'eau. Images / contre-images ne voulant plus rien montrer, on se surprend à réfléchir à tel symbôle, très vite remplacé par un autre, puis encore un autre, puis encore un autre, etc... Les discours se superposent (la séquence des cheveux coincés dans les pâles de jet-ski, se confondant avec l'horreur des piranha, sans rien avoir avec elle), une performance s'exclame ici et là tout en se sacrifiant (Ving Rhames et Jerry O'Connel, anecdotiques comme le reste du casting).

On perd le fil et le final, sur le fil justement, arrive tellement vite qu'on se surprend à voir le générique de fin se lancer au bout d'une petite heure et quelques minutes, l'impression de voir le pilote d'une mauvaise série de télévision gonflé en scope et en 3D pour le cinéma.
Rien n'est jouissif. Tout ne veut plus rien dire, à l'image de ce gag final qui conclue le film sur une note d'auto-apitoiement: je ne fais pas du Nu Image, mais je fais du Nu Image. Piranha 3D contre (ou pour) Mega-Piranha: la mayonnaise à un goût de flotte.
MikaëlGrizon
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le 27 févr. 2011

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MikaëlGrizon

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