Après la véritable déroute qu'avait été le second volet de la franchise "Pirates des Caraïbes", on pouvait se demander à quoi ressemblerait le dernier chapitre de la trilogie (... initale, car prolongée par la suite, bien entendu). "Jusqu'au Bout du Monde" sera pour certains (pour moi...) une excellente surprise, et pour d'autres un nouvel échec. Et, pour une fois, les deux points de vue sont parfaitement défendables.
Ce qui est évidemment pénible, et sans doute pour de nombreux spectateurs, inexcusable, c'est cette obstination dans des scénarios incompréhensibles, incohérents, continuant à multiplier trahisons illogiques, changements de camp injustifiables, et même révolution permanente inutile des règles du jeu. Quiconque a besoin de logique pour adhérer à un film doit évidemment passer une nouvelle fois son chemin, et ce d'autant que la première partie nous réserve une longue balade quasi-surréaliste (involontairement, on imagine) dans un monde parallèle où Jack Sparrow est retenu prisonnier : mis à part les partisans d'une Terre plate, peu de spectateurs arriveront à supporter ce délire déjanté.
Mais il y a tout le reste, et, cette fois, ce n'est pas rien : le réel tragique des histories d'amour (entre Calypso et Davy Jones, entre Will et Elizabeth), les élans d'héroïsme épique dans la toute dernière partie, littéralement magnifique, les batailles navales dantesques, la noirceur enfin assumée d'un combat inégal entre le monde impérialiste et capitaliste qui naît et une certaine vision de la liberté du Peuple (avec cette étonnante scène initiale de pendaison collective, enfant inclus !)... Bref, pas mal de choses que "Pirates des Caraïbes* avait jusque là soigneusement évitées, dans son souci de faire avant tout de la publicité pour l'animation des parcs d'attraction Disney.
Oui, le film est en outre porté par la magnificence visuelle d'effets spéciaux imaginatifs (un budget colossal, mais visible à l'écran), et surtout par l'énergie communicative des acteurs... Car voici une véritable "troupe" qui a peu à peu appris à tout faire (cascades, comédie, émotion, etc.) pour nous donner du plaisir. Johnny Depp est particulièrement bon cette fois, son personnage ayant retrouvé une vraie élégance et une indéniable complexité dont il avait été privé dans l'épisode précédent, mais ce sont sans doute Geoffrey Rush et Bill Nighty (même couvert de tentacules!) qui portent la grande émotion du film, tandis que Chow Yun-Fat est encore une fois éblouissant de charisme, disparaissant beaucoup trop vite pour notre bonheur.
Oui, ce "Jusqu'au Bout du Monde" est un grand foutoir, mais c'est aussi un film d'une considérable générosité, un blockbuster orgueilleux et déraisonnable, qui ne pourra donc que réjouir tous ceux qui aiment les gestes de cinéma excessifs.
[Critique écrite en 2021]