« Un beau personnage, c’est un connard qu’on finit par aimer »

… cette citation n’existe pas, mais je la trouve pourtant très pertinente pour parler de ce film. Car, au-delà de toutes ses qualités, j’ai été interpellé par ses personnages : ils sont tous désagréables. Christophe Honoré s’inscrit à rebours de la règle proverbiale selon laquelle le spectateur doit éprouver de la sympathie pour les personnages qu’on lui présente. Pire, en plus de ne pas être aimables, ils ne font rien pour se rendre admirable. Lorsqu’on les découvre, ils ont l’air désagréables, on ne les aime pas.


Arthur (Vincent Lacoste) fait exception à la règle, et encore, c’est la constance de sa bonne humeur qui peut agacer (la bonne humeur de ceux qui tombent amoureux agace toujours un peu). Cette force de vie évolue dans un monde hostile, peuplé de :
- Mathieu (Denis Podalydès), un type qui fait la gueule : je crois qu’il ne sourit à aucun moment du film. A ce titre, l’affiche du film, qui le montre hilare, est très mensongère.

- Nadine (Adèle Wismes), une jeune femme aigrie.
- Et bien sûr Jacques (Pierre Deladonchamps), imbuvable, mais pardonnable.


Sauf que, sans se renier, les personnages du film deviennent aimables : on comprend facilement l’aigreur de Mathieu et Nadine, personnages miroirs, qui doivent supporter les atermoiements de leur ami / amant respectif. Le film ne donne pas beaucoup de place à ces deux personnages, à qui il réserve tout de même deux des plus belles scènes (Nadine et Arthur dans la tente ; Jacques et Mathieu dans la scène finale). Mais la suggestion pudique de leur chagrin et le charisme des deux interprètes suffisent à convaincre le spectateur de leur importance.


Mais le courage du film réside surtout dans le traitement de Jacques : le film est dur avec lui et ose le présenter comme un type détestable. La première partie du film le montre odieux avec l’employée du théâtre de Rennes et abominable avec son ami agonisant. Mais justement, Jacques sonne juste et ressemble à un homme discrètement terrorisé par l’approche de sa mort. Le film ose alors ne pas héroïser son personnage (ce n’est pas parce que Jacques est malade qu’il devient exemplaire) et ose ne pas romantiser le martyr de son héros,


qui se suicide avant d’aller trop mal


, là où d’autres films aurait pu étendre complaisamment son agonie. Le film a finalement le martyr joyeux et est généreux avec Jacques : il lui offre la légèreté rédemptrice d’Arthur, si bien que Jacques, de plus en plus malade, est de plus en plus heureux.


Plaire, aimer et courir vite n’est pas 120 battements par minute, et ne lorgne pas du tout sur ce dernier : 120 battements par minutes était politique et lyrique ; Plaire, aimer et courir vite est authentique et doucement élégiaque.

TomCluzeau
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le 14 mai 2018

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Tom Cluzeau

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