oct 2010:

Je suis resté sur la berge. Persuadé que le film est bon, je n'ai pourtant pas été réellement touché mais seulement effleuré par cette histoire. Je ne sais pas si c'est l'écart culturel qui sépare la Corée de la France ou bien plus sûrement un problème d'humeur du moment qui m'a empêché d'entrer en empathie et de m'intéresser pleinement à l'évolution des personnages.

Quoiqu'il en soit, la très lente décomposition de la situation dans laquelle se trouve Jeong-hee Yoon (Mija) n'a soulevé que peu d'intérêt de ma part.

La couardise des hommes, l'espèce d'entente incroyablement naturelle de tout ce petit monde pour manipuler la détresse d'une mère endeuillée, cet horrible consensus marchand dans lequel l'institution scolaire participe comme si de rien n'était, tous ces petits arrangements entre gens de bonnes mœurs sont d'un cynisme dont j'ai eu bien du mal à comprendre l'unanimité.

On voit bien que seule Jeong-hee Yoon est en proie au doute. A reculons, elle en prend pourtant le chemin. A voir comment elle élève (ou plutôt n'élève pas) son petit-fils, qu'elle héberge, on comprend mieux son apparente apathie. En réalité, tous les personnages vivent dans un mutisme destructeur, infoutus de communiquer quoique ce soit. On transforme facilement la vérité. Le mensonge est un outil bien pratique, l'argent un solide argument.

Et la poésie apparait alors comme un ilot isolé où l'émotion est enfin dite, où l'expression est libre. Mais cet ilot est si loin, semble si inaccessible! Pas étonnant que ceux qui ne sont pas corrompus soient les seuls à pouvoir écrire des poèmes. Ils sont les seuls à assumer leurs responsabilités, à faire face à la réalité sans la travestir mais en la sublimant, les seuls enfin à regarder leurs sentiments et émotions dans le blanc des yeux. Les sacrifices à payer pour cela ne sont pas minces, encore moins pour Jeong-hee Yoon, mais non moins indispensables. La poésie constitue bien plus qu'un passe-temps, c'est un choix de vie ici. Le propos est louable. Cependant, je n'avais peut-être pas envie de l'entendre de cette manière et à ce moment là.

Aussi me suis-je plutôt tourné vers le jeu des acteurs, une de mes valeurs refuges favorites quand le reste ne m'émoustille pas vraiment. Et difficile de passer à côté de la prestation de Jeong-hee Yoon. Je n'irais pas jusqu'à parler d'exception mais la comédienne propose une performance complexe, fragile et forte à la fois, avec une belle justesse.

La réalisation est bonne, agréable, très contemplative, sans esbroufe et il faut le concéder, peu marquante en fin de compte. Dans le bon sens du terme, de ces réalisations qui laissent la première place à l'histoire et aux acteurs. Juste comme il faut en somme.
Alligator
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le 14 avr. 2013

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