Ponyo sur la falaise
7.4
Ponyo sur la falaise

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2008)

Je me souviens de... La musique carrément symphonique, lorsque Ponyo au début du film remonte à la surface, dans le courant des méduses et autres créatures sous-marines. Un peu comme dans le « Fantasia » original de Walt Disney, la musique classique donne au film un retentissement majestueux, presque universel, ... cosmique ! Au sens littéral du cosmos : le tout, la nature, le monde. C'est exactement cela : à la fois un hommage à la grandeur de la nature et – attention à la ruse – l'inclusion d'une nature imaginaire dans ce cosmos existant – mais qu'en savons-nous ? Un peu comme dans le film « La vie aquatique », on est émerveillés par ce qu'on voit, et le cinéma nous dit qu'il ne peux pas se mesurer à la réalité : il nous montrera plutôt des créatures qui n'existent pas, parce que le domaine du cinéma c'est la création, le fantastique, et c'est sa façon à lui d'évoquer l'excitation de la découverte.

Dans Ponyo, nous découvrons donc Ponyo, un petit poisson femelle, protégé du grand explorateur des mers et fille de la reine des mers. Petite, fragile, gracieuse. Il serait vain de chercher des qualités à Ponyo : son visage lui-même est un simple sourire, et son corps une chemise de nuit avec des cheveux et un visage. Tout comme un organisme mono-cellulaire, Ponyo n'est pas très différencié, c'est un personnage à peine plus différencié que ses sœurs, mais gracieux parce qu'évoquant la vie et la liberté dans leurs plus simples appareils. La vie et la liberté de l'organisme monocellulaire, qui se reproduit, qui transforme les matières végétales en énergie, etc... Tout simplement, la vie ? Oui, mais la vie il y a beaucoup à en dire pour la comprendre. Le film en montre beaucoup : la nature a une âme, une âme qui craint pour la vie et son équilibre. D'où ces vagues vivantes qui, au début du film, tentent de rattraper Ponyo qui est sortie de la mer, son écosystème. Cela n'empêche pas que l'ordre de la nature soit aisément bouleversé par des événements en chaîne : Ponyo s'en va, ses sœurs n'en font qu'à leur tête, la catastrophe est déclenchée. Mais la reine de la mer, jamais présente au départ, n'est pas très loin pour ramener.les choses en l'état.

La nature a cependant de vastes projets. Ce grand explorateur des mers, ce technocrate, avait ce projet un peu fou de faire payer à l'humanité ses dérives destructrices pour l'environnement. C'est assez étrange que ce personnage ait tout d'un humain mais qu'il soit dans les petits carnets de la nature et du monde sous-marin. Pour moi, c'est bien la « nature technocrate » qui se présente ici à nos yeux : pour expliquer aux enfants que la nature a le pouvoir et la connaissance pour nous anéantir, on lui fait revêtir l'apparence d'un scientifique. Ce personnage, la nature savante, celle qui sait tout, est ici dépeinte avec machiavélisme : si nous sommes capables de construire de grandes choses, d'imaginer de grands dispositifs, elle également peut envisager de grandes choses, qui ont pour nous un visage terrible, les catastrophes écologiques. Un malheur sans mal, causé par des forces qui se trouvent dans leur droit mais ne considèrent pas l'humanité avec assez de bienveillance pour lui pardonner. Ce scientifique n'est pas un personnage vraiment « méchant », il est juste très remonté et il ne personnifie donc en fait que le jugement de la nature envers l'humanité.

C'est là qu'intervient l'action de Ponyo, qui va à la rencontre du petit garçon. D'abord, il la sauve. Puis, ils s'apprivoisent l'un l'autre, très naturellement. Et par la suite, ils deviennent inséparables : elle l'amibe qui personnifie la grâce de la vie, et lui l'enfant humain de nature compliquée mais finalement aussi gracieux car un membre émérite de Gaïa par sa bienveillance. Ce n'est que par cette rencontre, ce lien qu'a créé Ponyo entre le monde sous-marin et l'humanité, que le dialogue s'instaure. Pourtant il n'y a pas vraiment de pourparlers, de délégation de diplomates humains et sous-marins, tout se décide dans le feu de l'action. On voit le petit garçon, sa maman, tous ces individus qui souffrent, et Ponyo est là, elle voit les efforts d'entraide de l'humanité, elle pourrait témoigner. Mais ces choses étaient connues par la majestueuse reine des mers. Si la nature savante, scientifique, machiavélique, pense à nous détruire, un ordre plus grand et dont les voix sont plus impénétrables nous laisse notre chance, nous est bienveillant. C'est notre mère, la mère nature, miséricordieuse, qui ne peut se résoudre à laisser mourir tous ses enfants.

La tempête aura fait beaucoup de victimes, on s'imagine que c'est le déluge, que tous les humains se sont noyés... Mais les choses reviennent à la normale, finalement. Le petit garçon et Ponyo ont vogué paisiblement dans l'attente d'un jugement plus clément pour l'humanité, et ils atterrissent sur un terrain pacifié.

Peut-être qu'il n'est de film plus béat que Ponyo sur la falaise... Mais contrairement à Slumdog Millionnaire ou Good Morning England, il y a ici une béatitude qui ressemble moins à un linceul qu'à une chrysalide. Comme la chrysalide, Ponyo sur la falaise – un titre qui pourrait vouloir dire « le sort de l'humanité dépend de son sort » - donne des forces et permet de passer à un stade plus avancé d'être et de conscience.

Miyazaki a-t-il réussi, pour autant, le film écolo le plus convaincant ? Cette question ne m'intéresse pas. Je préfère me repasser, en mon for intérieur, cette musique enivrante et majestueuse, sur un fond de vie aquatique fabuleuse, qui me dit la toute puissance du sentiment cosmique, celui d'appartenir au règne du vivant, sous l'égide de la nature, tantôt dangereuse et tantôt miséricordieuse.

PS : Je n'ai guère plus à offrir à propos de ce film que ce que j'en ai retiré. Et si j'ai fait une petite sieste pendant le milieu du film, tandis que Ponyo et le petit garçon voguant sur leur petit rafiot en attendant la trêve, ce n'était que pour mieux y adhérer. Mes sens m'ont perdu, perdu dans le sujet, j'ai donc peu à en dire. Ponyo sur la falaise est tellement « cosmique » que je n'en suis certainement pas plus sorti que rentré : j'y étais chez moi.
Jonathan_Suissa
8
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le 14 oct. 2010

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Jonathan_Suissa

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