Je préfère ne jamais attendre quoi que ce soit d'un film mais j'avoue que celui-là, je l'attendais avec impatience!


J'ai vu tous les films de Céline Sciamma et mise à part Bande de filles (2014) que j'ai trouvé un peu moins bien que les autres, je suis une fervente admiratrice de la réalisatrice-scénariste française.


Comme je l'espérais, Portrait de la jeune fille en feu ne m'a pas laissée de marbre, bien au contraire!


Il m'est toujours difficile de parler d'un film que j'ai adoré (ce qui est assez stupide) et pourtant je me vois dans l'incapacité à trouver les mots justes pour décrire ce que j'ai éprouvé en le voyant...


Je commencerai donc par dire qu'il s'agit du quatrième long-métrage de la cinéaste et de sa première sélection en compétition officielle au Festival de Cannes 2019. Précédemment elle avait présenté son premier long métrage, Naissance des pieuvres, à Un Certain Regard, et son 3ème film, Bande de filles, avait fait l'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs en 2014.


Avec ce nouveau film, Céline Schiamma se pose la question du regard : qu’on porte sur l'autre et le regard qui est porté sur nous.


Dans ce sens, elle s'interroge sur son propre regard en tant que cinéaste et décide, douze ans après son premier long-métrage, de renouveler la collaboration avec l'actrice Adèle Haenel, qu'elle a révélée au grand public et avec laquelle elle a partagée plusieurs années de sa vie.


La manière dont la réalisatrice regarde ses actrices, ses personnages, les femmes en général, est indéniablement l'une des forces majeures de son cinéma et par la même de sa jeune fille en feu.


Si elle a remporté le Prix du scénario à Cannes cette année ce n'est donc pas par hasard. En effet, quand les personnages féminins s'expriment dans ses histoires, elles ne s'échangent pas des platitudes et ne parlent pas non plus des hommes qu'elles aiment. Chez Sciamma, la femme possède sa propre opinion, assume ses idées, sait exposer ses sentiments et ses pensées sans censure.


C'est donc par sa maitrise des dialogues qu'elle réussit à créer l'émotion et nous donne à voir la naissance de la passion amoureuse entre les deux femmes.


Les mots comptent alors autant que le jeu des regards nous prouvant de nouveau que l'image et le scénario doivent avancer main dans la main afin de retranscrire au mieux le sens de l'action. Ce qui est le plus admirable c'est que la balance entre dialogues et silence est mesuré avec brio créant un équilibre parfait entre conversations enflammées et moments d'accalmie.


Par exemple dans la séquence de champ contre-champ où Adèle regarde Héloïse et Héloïse regarde Adèle, le découpage crée le lien entre les deux. C'est comme si elles échangeaient des paroles alors qu'elles ne font que s'observer à travers les flammes.


Mise à part cette réflexion autour du regard, il y a aussi une partie importante du scénario qui est consacré aux souvenirs puisque c'est par le récit au passé que cette histoire d'amour nous est retranscrite.


Schiamma fait un parallèle (hommage) au mythe d'Orphée dans lequel on retrouve les deux thèmes principaux de son film soit le regard et le souvenir : pourquoi Orphée s'est-il retourné? Est-ce qu'Eurydice le lui avait demandé? Ou l'a-t-il volontairement fait, préférant le souvenir de sa bien-aimée que sa réelle présence?


D'autre part il y a cette manière dont la cinéaste arrive à faire de son film une oeuvre profondément féminine et féministe sans être forcément politique et provocatrice. Le simple chant de femmes autour d'un feu, la séquence de l'avortement, le tableau signé sous le nom d'un homme sont des indices d'émancipation qui nous envahissent aussi bien d'un sentiment de sororité que d'espoir viscéral.


Portrait de la jeune fille en feu est par ailleurs un film authentiquement romantique comme on n'a plus l'habitude d'en voir. La retenue dont font preuve les héroïnes expriment aussi bien leur sensualité que leur richesse intérieure ce qui nous amène à croire plus fermement que jamais qu'il n'est pas nécéssaire de montrer pour comprendre. J'entends ici que les sous-entendus sont tout aussi pertinents, si ce n'est plus, que des images inutilement démonstratives et que, de ce fait, le choix de Céline Schiamma de ne pas s'attarder sur des scènes de sexe est admirable et compréhensible (la tension c'est carrément plus euphorisant selon moi).


Enfin, le plus impressionnant dans tout cela c'est que bien qu'il s'agisse de parler d'amour et de passion, le film n'a pas de musique si ce n'est deux moments musicaux : la séquence du chant autour du feu dont je vous parlais plus haut et la séquence finale illustrée par le Concerto n°2 en Do Mineur de Vivaldi (séquence qui m'a, en passant, fait pleurer toutes les larmes de mon corps).


Vous l'aurez donc compris : j'ai adoré et je ne peux que vous recommander de le découvrir à votre tour!


PS : Au final, j'aurais fini par trouver les mots. Désolée pour le roman ^^


Toutes mes critiques sont à retrouver sur mon blog :
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SybilleGuerriero
9

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Créée

le 12 mars 2020

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