J'apprécie vraiment le cinéma de Céline Sciamma, certains films plus que d'autres, ses sujets, notamment autour de l'identité, son approche toujours personnelle et sensible en faisant sans doute la meilleure réalisatrice de sa génération. Ici, changement de registre avec une œuvre en costumes située au XVIIIème siècle, à l'approche ultra-léchée, picturale, offrant nombre de plans saisissants par leur puissance visuelle, évoquant évidemment les toiles de maîtres, accentuée par une photo lumineuse du plus bel effet. Malheureusement, hormis une introduction et une présentation des personnages assez réussies, cet esthétisme est restée vain pendant un bon moment tant nous n'étions parfois pas loin d'une logique film d'auteur pur et dur, n'ayant pas grand-chose à raconter et se complaisant presque dans une forme de pose que Sciamma sait pourtant si bien éviter habituellement, et que je craignais quelque peu lorsque j'ai pris connaissance du projet.


Du coup, j'ai parfois totalement décroché de ce qui pouvait se « passer », le duo Noémie Merlant - Adèle Haenel n'étant pas à la hauteur des espérances (c'est nettement mieux dans le dernier tiers), faisant toutefois figure de génie à côté de celle, désastreuse, de Luàna Bajrami, déjà médiocre dans « Fête de famille » et aggravant ici son cas. J'avais donc beau être sensible au fait qu'un titre français soigne autant sa forme, tout en constatant cet ennui souvent inhérent à ce genre de productions, qu'adore certaines critiques qui préféreront utiliser les mots « lenteur » et surtout « contemplatif » pour justifier qu'on s'endorme devant. Et puis quelque chose se passe. La relation entre les deux femmes devient fusionnelle (la scène offrant son titre au film est magnifique), prenant alors de la hauteur à tout point de vue, que ce soit dans l'écriture


(dont ce très beau passage consacré à l'interprétation du choix d'Orphée lorsqu'il se retourne vers Eurydice)


ou l'intensité émotionnelle, le choix du sensuel plutôt que de l'érotique s'avérant des plus judicieux, comme en témoigne


cet échange autour du livre et de la page 28,


fort joliment réintroduit dans les dernières minutes, sans oublier la conclusion, peut-être un poil longue, mais puissante.


Au fond, dans « Portrait de la jeune fille en feu », il y a presque tout ce que j'aime et n'aime pas au cinéma : un aspect intello élitiste donnant l'impression de ne s'adresser qu'à un cercle assez précis de la population d'un côté, mais aussi une vraie démarche artistique, nous racontant cette brève rencontre avec suffisamment d'ardeur pour que l'on s'y retrouve, surtout dans la deuxième heure. Alors malgré la relative déception, malgré la lassitude longuement ressentie parfois, j'apprécie le geste et que l'auteur de « Naissance des pieuvres » se soit donnée la peine, même avec inconstance, de nous raconter un amour impossible : clairement pas mon Sciamma préféré, mais un des quelques titres dignes d'intérêt offerts par l'hexagone en cette année 2019 particulièrement inquiétante.

Caine78
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le 29 sept. 2019

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