Il suffit de jeter un coup d'oeil à ma liste de films référencés sur ce site pour remarquer en moins de 10 secondes que je n'ai aucune affection pour le cinéma français. Les raisons à cela, c'est que la plupart des films français sont calibrés au poil de pubis, que ce soit pour remplir les salles de ciné avec des comédies décérébrées ou créer un succès insipide qui donne l'illusion au péquenot moyen d'avoir vu du Grand Art (Oui, Intouchables et La Vie d'Adèle je parle de vous). Alors qu'en réalité, on se souvient de ces films, non pas pour leurs qualités intrinsèques de film, mais pour le battage médiatico-politique qu'ils ont su provoquer et ce besoin maladif qu'à le cinéma français de s'engager sur le terrain de la politique pour exister en dehors de son pré carré. On les a tous vu pour ne pas passer pour des incultes et une fois les discussions de repas de famille passées, on les a oublié. Alors qu'un bon film, ça se revoit, ça vit en dehors de son temps d'exposition médiatique et on y revient toujours comme des amantes éconduites mais persuadées qu'il y a encore quelque chose que l'on a manqué.
Pourtant ce film retourne, à mes yeux, à l'essence même du cinéma français, à savoir, l'art mystique de faire des chefs-d'oeuvre à peu de frais contre un Hollywood incapable de ne pas faire tapis à chaque nouvelle production. Bref, un cinéma qui s'est épargné les fioritures oubliables et qui brille, au contraire, par sa sobriété percutante et son désir brûlant de nouveauté. Peut-on faire un film avec 80 lignes de dialogue à tout casser ? Peut-on représenter l'érotisme sans male gaze et sans galipette charnelle ? Peut-on parler d'homosexualité sans en faire un pamphlet répétitif ? Peut-on faire une fixette sur son actrice principale sans tomber dans le voyeurisme gênant (Kechiche, on te voit) ? Céline Sciamma a mis à peine deux heures pour répondre à l'affirmative et le cinéma français n'était pas prêt.
J'avais si peur de louper quoi que ce soit en regardant ce film qu'il me semble ne pas avoir cligné des yeux une seule fois, ni n'ai-je osé trépigner sur mon siège comme à mon habitude impatiente. Il n'y a pas à dire, c'est beau ! Chaque plan semble avoir été peint à la main sur les capteurs de la caméra, chaque ligne de dialogue crève le silence aussi mémorablement qu'un cri dans la nuit, chaque scène représente avec brio la tension amoureuse que ce soit par le cadrage ou le montage. Somme toute, voilà un film profondément révolutionnaire dans sa manière de représenter les femmes à l'écran et pourtant, fait avec une telle aisance qu'on en oublierait presque que jusque là le cinéma en était bien incapable. Et je ne cite pas ici que les "classiques" ou les blockbusters populaires, même les films les plus lesbiens de l'univers tombent dans ces écueils comme des guêpes dans une demi-bouteille de sirop. Jusque-là, on s'est évertué à dénoncer la "masculinité" de la caméra, mais combien se sont vraiment esquintés à prouver que l'on pouvait faire un bon film sans ? Combien sont montés au créneau et ont tapé d'un poing filmique sur la table de la profession ?
Pas grand monde à vrai dire et encore moins pour saluer l'exploit. La complaisance politique du milieu s'arrête là où commence les véritables problèmes de ce petit monde. Parce que je ne peux pas faire comme si ce film n'avait pas été notre plus beau cheval de bataille contre le J'accuse de Polanski. Ce serait oublier que les films ne sont pas juste de "l'art pour l'art" et qu'ils s'inscrivent toujours dans un contexte culturel et historique. En plein pendant le vote pour le mariage pour tous, le cinéma français s'est fait un plaisir de récompenser le pire réalisateur que l'on ait jamais fait juste parce qu'il avait présenté un film traitant de l'homosexualité et en pleine période où des femmes parlent de ce qui jusque-là avait été inaudible, on récompense l'un de leur bourreau les plus célèbres en vertu de la séparation entre l'artiste et l’œuvre (qui ne vaut d'ailleurs que pour les pires des deux). Je ne vais pas vous refaire le débat, juste soulever que l'agenda politique du cinéma français est d'une ouverture toute relative et que lorsqu'on voit ce qui le froisse, on ne peut s'empêcher de se poser des questions. De plus, pour récompenser Le Portrait de La Jeune Fille en Feu, il ne me semble pas qu'il y ait besoin de succomber aux sirènes du message politique tant le film mérite toutes les récompenses qui existent. "Meilleur scénario" et "meilleur photographie", ça sonne presque comme des euphémismes de médaille en chocolat. Ce qui m'agace profondément, ce n'est pas tant qu'on ait offert sur un plateau des récompenses à Polanski directement (ça aurait pu être n'importe qui d'autre), c'est que ce n'est pas les films que l'on juge dans ces cérémonies aux allures de mascarade, mais les personnes qui les font. Car si l'on jugeait le cinéma en tant qu'art, comment voulez-vous que l'on récompense un film aussi calibré pour gagner que celui de Polanski ?
Il n'y a pas de complot "masculiniste". Il faut dire que ça nous arrangerait bien, on aurait des cibles toutes trouvées. Ce qu'il y a de pire à abattre qu'un conciliabule sombre, c'est l'indifférence des bons et l'aveuglement des indifférents. Ne clignez pas des yeux, vous manqueriez peut-être le monde de demain qui se prépare.