Possession
7.2
Possession

Film de Andrzej Zulawski (1981)

Tortionnaire physique et mentalité passionnante

Possession est avant toute autre chose une oeuvre ayant su parfaitement tirer profit de son support. Ce sentiment vertigineux d'étrangeté et de mise à mal du spectateur, spécifique au cinéma, est retrouvé ici dans une démesure totale et assumée. Rarement je n'aurai été mis aussi mal à l'aise devant une oeuvre, et les deux heures du film m'auront laissé dans un état de fatigue avancé témoignant d'une immersion profonde.


Tous les moyens mis à disposition par le support filmique sont utilisés dans le même but. Cette caméra, toujours dans un mouvement fluide et souvent circulaire, jamais statique, est un véritable tortionnaire pour le spectateur, autant que le scénario pour ses personnages. Le son perce les tympans en faisant durer ses cris stridents ou autres bruits du quotidien déformés à l'extrême pour en sortir la sève dérangeante, et le montage se plait à nous bousculer en enchainant, non pas le choquant à longueur de temps, mais en le faisant alterner avec des passages plus calmes. Ainsi, on peut voir succéder à Adjani, dans une scène d'hystérie, Sam Neill donnant le bain à son fils, dans un calme contrastant de façon bien trop claire pour être ignorée avec le chaos de la scène précédente. La violence mentale sans interruption n'est effectivement pas la cause de la folie, mais son résultat : c'est bien le fait de passer d'un extrême à l'autre dans des délais réduits qui amène à ce déséquilibre. De plus, ces contrastes peuvent arriver très tôt dans la scène précédent le cut, tout comme ces scènes peuvent durer sur la longueur. De ce fait, le film se donne un cachet imprévisible qui rend le tout fascinant.


Cette caméra tournoyante, en plus de projeter le malaise psychique des personnages sur le spectateur, s'impose comme la représentation dans le film de ce que redoutent le plus les personnages. L'emprisonnement dans leur quotidien, ou la peur de la répétition réconfortante, à la manière de Sam Neill qui, assit, ne peut s'empêcher de se balancer dans un geste frénétique et répétitif à l'extrême, à la fois réconfortant et exhacerbant sa folie provoquée par une vie de désillusion, la monotonie d'une vie conjugale l'ayant amené à perdre sa femme.


C'est tout du moins le postulat de base du film. Car très vite, les thèmes s'enchainent, partant du cas particulier (le mariage) pour arriver à parler du caractère humain en général, et de sa prison, charnelle bien sûr, Adjani se laissant prendre par un monstre qu'on ne saurait comprendre, presqu'une chose sans forme et écorchée vive, comme pour libérer son véritable être de sa peau, mais également psychologique, comme l'obligation de devoir veiller sur un enfant destiné à suivre le même chemin.


Il est toutefois dommage de voir que le film se plait à multiplier (et le mot est faible) les pistes, pour toujours déranger le spectateur un peu plus. Tout se mêle et se mélange, et certains passages relèvent même de l'absurde le plus grossier (si quelqu'un arrive à m'expliquer pourquoi l'amie d'Adjani s'écroule sans raison après que Sam Neill lui ait dit une banalité, sauf pour donner plus de force au cut qui suit, il gagnera mon respect éternel). Clairement, le réalisateur choisit ici de privilégier la forme à la clareté du fond. C'est cependant fait avec tellement de réussite, que l'on ne regrettera qu'un temps ne pouvoir suivre ses réflexions jusqu'au bout.


La scène finale est d'ailleurs très réussie sur les deux plans. Les images parfaites que se font les époux l'un de l'autre finissent par un mouvement ascendant, tout en restant circulaire (les escaliers), pour une conclusion d'une noirceur qui sied parfaitement au film : les relations humaines sont condamnées à se faner, même en atteignant une sorte de perfection, qui de toute façon ne peut se faire totalement humaine. Le véritable couple n'a plus qu'à s'embrasser dans le baiser le plus affreux de l'histoire du cinéma, représentation parfaite de la nature pathétique de l'Homme et de son amour vain fasse à son envie de grandeur et de passion.

Mayeul-TheLink
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films d'horreur et Les films au meilleur design sonore

Créée

le 27 nov. 2016

Critique lue 454 fois

8 j'aime

Mayeul TheLink

Écrit par

Critique lue 454 fois

8

D'autres avis sur Possession

Possession
Morrinson
7

La possession, c’est le vol.

Étant donnée l'affiche du film, évoquant une version érotique du mythe de Méduse, et la catégorie du film à l'orée des genres dramatique et horrifique, on ne saurait mieux induire en erreur le...

le 14 nov. 2016

53 j'aime

8

Possession
Velvetman
9

L'appât du mal

Certains longs métrages laissent une trace indélébile dans l’esprit du spectateur. Des films qui épuisent leur forme réaliste pour s’engouffrer dans une dynamique du fantastique et toucher de près la...

le 2 mai 2014

52 j'aime

6

Possession
oso
5

Faites-la taire !

Pas évident de poser les mots sur le bureau pour composer quelques phrases cohérentes à la fin d'un film comme Possession. Il est tellement envahi de rage pure qu'il est quasiment impossible d'en...

Par

le 22 juil. 2014

37 j'aime

6

Du même critique

Kubo et l'Armure magique
Mayeul-TheLink
5

Like tears in rain

(Si vous souhaitez avoir un œil totalement vierge sur ce film, cette critique est sans doute à éviter) Kubo, par sa technique d'animation nouvelle et son envie affirmée de parcourir des chemins...

le 27 sept. 2016

51 j'aime

10

Le Daim
Mayeul-TheLink
4

Critique de Le Daim par Mayeul TheLink

Chez Quentin Dupieux, on aime se mettre dans la peau d'animaux. C'est que comme dit l'Officer Duke (Mark Burnham) de Wrong Cops dans une révélation enfumée : "Nous sommes tous des esclaves de la...

le 20 juin 2019

48 j'aime

5

Call Me by Your Name
Mayeul-TheLink
5

"Le temps est comme un fleuve que formeraient les événements"

Héraclite disait il y a un moment déjà qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Les personnages se baignent, beaucoup, et effectivement jamais dans le même fleuve. Mais ce n'est pas...

le 13 mars 2018

40 j'aime

2