Possession
7.2
Possession

Film de Andrzej Zulawski (1981)

Certains longs métrages laissent une trace indélébile dans l’esprit du spectateur. Des films qui épuisent leur forme réaliste pour s’engouffrer dans une dynamique du fantastique et toucher de près la transcendance. Possession fait partie de ces œuvres poreuses, grinçantes et vulnérables, qui s’immiscent de surcroît dans la désintégration viscérale d’un couple où une frénésie exécrable aura raison de leur vie.


Marc, marié à Anna, rentre chez lui après un long voyage. Malheureusement, elle semble aliénée, changée et ne souhaite plus vivre au domicile familial, préférant dès lors passer son temps chez son amant. Un amant qui lui a fait découvrir les joies d’une sexualité ivre et débridée. Le dialogue paraît impossible entre les deux anciens amoureux, se finissant à chaque fois dans une cascade de décibels. Les disputes sont nombreuses, abrasives et hystériques, mais mettent un visage sur les maux de la dislocation sentimentale du couple. C’est de là que s’organise toute la magie baroque d’Andrzej Zulawski, dans sa capacité à être radical dans son parti pris visuel et à faire se mouvoir les corps avec intensité. Le cinéaste imprime une atmosphère âpre, une ambiance aux allures de conte post-apocalyptique, dans un Berlin magnifié et une ère de fin du monde, où se conjuguent ruelles vides et couleurs bleutées : comme si l’humanité avait été rayée de la surface de la Terre.


Derrière une ambiance qui devient de plus en plus convulsive et inhumaine, Possession dévoilera l’existence de cet amant monstrueux – au sens propre comme au sens figuré – qui se révélera dangereux et démoniaque. Il est à l’origine de la mutation de la jeune femme qui semble, comme un caméléon, intégrer en son sein le malaise et le chaos de toute une ville. Cette histoire d’adultère aurait pu s’avérer traditionnelle, et aurait pu dissimuler un petit récit touchant de près ou de loin la simple notion du couple. Mais Andrzej Zulawki fait de son couple un organe secondaire et manipulable ; l’organe vital étant Berlin et sa frénésie. Possession est un film-monde, un film qui dessine et pense l’idée même de territoire : celui d’un couple, celui de la disparité de la foi, celui d’une sexualité et même celui des frontières qui définissent le monde.


Andrzej Zulawski n’impose aucune barrière à son film. Sa mise en scène virevolte autour de ses protagonistes, alliant des plans larges et circulaires avec des plans resserrés sur des visages graves alimentant les regards troubles et possédés d’Isabelle Adjani et Sam Neill. Devant nos yeux se compose une danse épileptique macabre et horrifique où rien n’est intériorisé, où toute la dimension émotionnelle passe par l’émulsion des corps, des regards et des cris primitifs. Parfois enlevées, animales et outrageuses, les prestations des acteurs terrifient. Leur acmé sera cette fameuse et tumultueuse scène centrale du métro où Isabelle Adjani vociférera les yeux révulsés, s’esclaffant comme une « folle », rejetant alors son démon par tous les pores de son corps. L’horreur du film ne s’intègre donc pas uniquement par son penchant pour les codes du cinéma de genre, mais aussi par son délitement du réalisme.


Une idée qui concilie l’expérimentation du cinéma de genre et l’introspection sentimentale où l’abandon devient le maître mot : le réel est le fantastique, et inversement. Les deux s’interpénètreront, une nouvelle fois, au sens propre comme au figuré, ainsi que l’attestera la séquence sexuelle entre Anna et son mystérieux amant tentaculaire, des images qui rappelleront de manière frontale le cinéma de David Cronenberg avec son accointance étroite entre le désir et la chair.


Possession est donc un film pesant, crachant sa haine irréversible de soi-même, catapultant son film dans une colère soudaine, en s’appuyant sur la force des performances de ses acteurs qui s’imprègnent de la souffrance et de la honte de leur personnage. Mais l’incarnation des protagonistes par les acteurs – incroyable Isabelle Adjani – ne se limite pas à la simple idée de performance. L’œuvre d’Andrzej Zulawski est une proposition de cinéma complètement folle, qui se réapproprie le réel et un contexte politique fort (le mur de Berlin) pour en faire une plongée dans la folie humaine.


Article original pour LeMagduciné

Velvetman
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le 2 mai 2014

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