“Il y a énormément de films de super-héros. Et la sexualité n'existe pas chez les super-héros. Ils sont stérilisés. Ils ont un genre non identifié et c'est l'aventure qui est la plus importante. [...] L'être humain est un être sexuel.” Tels sont les mots de Pedro Almodovar, qui a apporté son grain de sable à la déferlante de déclarations de cinéastes à l’encontre des films Marvel. Si certains y ont vu de l’immaturité, le réalisateur met en valeur le fait qu’aborder la sexualité d’un personnage permet de l’ancrer dans le réel, parce que l’on est au plus proche de son monde intime. N’est-ce pas là une façon de capter l'invisible, ce qui est l’un des objectifs les plus courants du cinéma ?


Sous prétexte d’exciter son spectateur, le pinku eiga permet d’aborder frontalement ce sujet important en s’adressant à une jeunesse attentive, avec un budget assez raisonnable pour permettre aux cinéastes d’expérimenter. C’est le cas de Prière d’extase, qui n’est pas la première incursion de Masao Adachi dans le pinku eiga. Le film suit Yasuko, une jeune femme enceinte de quinze ans dont la vie amoureuse et sexuelle se fait au sein d’un groupe d’amis s’étant promis l’exclusivité. Pour eux, c’est une façon de vivre une sexualité “avec le coeur”, en opposition à une sexualité “avec le corps” : ils “triomphent” ainsi du sexe en tentant de surpasser leurs pulsions primaires au profit d’une amitié invincible. Cette conception naïve se voit chamboulée lorsque Yasuko trompe le groupe avec l’un de ses professeurs, ce qui lui procure un plaisir jusque là jamais atteint, la jeune femme se montrant frigide lorsqu’elle couche avec ses amis. Les quatre personnages se mettent alors en tête de lui faire revivre cette sensation en brisant leur pacte d’exclusivité et en poussant Yasuko à se prostituer.


Comme la seconde partie de Nymphomaniac, Prière d’extase est donc plus une recherche permanente du plaisir qu’une multiplication d’expériences enivrantes. Les scènes de sexe sont filmées avec un certain désintérêt, toujours à distance des personnages, et parfois au milieu d’un mouvement de caméra qui passe vite à autre chose. L’absence de sensations étant un thème profondément mélancolique, le film est d’un spleen très prononcé. Loin de l’expressionnisme, le noir et blanc est d’une douceur parfaitement ancrée dans la réalité avec une dimension assez morne : la lumière est surexposée, les noirs peu prononcés et le grain très marqué. Ce noir et blanc s’accorde parfaitement avec la nudité des personnages, effaçant la forme de leurs corps au profit d’images plus poétiques, les tétons ressemblant à des îles perdues au milieu d’une mer blanche. Le film possède quelques passages en couleurs qui surviennent sans règle clairement établie au préalable. La lumière reste surexposée et les couleurs sont très délavées, à l’exception de quelques monochromes rouges ou bleus qui détonnent par leur violence et laissent supposer quelque chose de plus sombre derrière cette poésie.


Comme dans de nombreux pinku eiga, le film mêle Eros et Thanatos. Yasuko est à la fois une adolescente découvrant sa sexualité et une jeune adulte qui s’apprête à devenir mère. Pourtant, aucun de ces deux âges ne lui convient : elle ne parvient pas à prendre du plaisir avec sa vie sexuelle, et elle ne sait pas vraiment si elle veut avoir un enfant. De plus, la jeune femme a une obsession malsaine pour le suicide, ce que l’on comprend par la présence régulière d’une voix-off qui récite les derniers mots d’une femme s’étant suicidée, avant de révéler son âge et la méthode. Ce procédé revient plusieurs fois d’une façon intelligente au cours du film, puisque l’on a sans cesse l’impression que l’on s’apprête à écouter les pensées de Yasuko, avant que l’identité de la victime ne soit indiquée. Comme les passages en couleur, cette voix-off a le bon goût de n’obéir à aucune règle prédéfinie et intervient souvent quand on ne s’y attend pas. Elle est parfois accompagnée d’un air mélancolique à la guitare qui couvre une grande partie du film, jusque dans son climax inévitablement tragique.


Prière d’extase est donc un film d’une poésie très touchante, qui offre un point de vue mélancolique sur les souffrances profondes liées à la sexualité et à l’adolescence sans jamais tomber dans le sordide. Yasuko est évidemment le personnage que l’on retient le plus, mais difficile de ne pas être touché par ses amis qui ne vivent qu’à travers le prisme de la sexualité et de l’amitié, loin de l’autorité parentale ou des institutions scolaires. Malgré son schéma assez répétitif, Prière d’extase est assez court et ne souffre d’aucune longueur. Un délicieux portrait de jeune femme avec une forme parfaitement aboutie, qui exploite les libertés permises par le genre pour offrir un vrai beau film sur l’adolescence et la sexualité.


Note sur l’édition Blu-ray : Prière d’extase fait partie du coffret “Pink films Vol.1-5” de Carlotta, qui contient cinq pinku eiga de réalisateurs tous différents. Chaque film est accompagné d’une préface de quelques minutes qui apportent des éclairages nécessaires à ces œuvres assez obscures. Si on n’aurait pas craché sur un petit documentaire qui reviendrait de façon plus exhaustive sur le genre, le coffret a le mérite d’apporter une certaine diversité dans son choix de films et de les présenter dans de très belles restaurations. Cette édition est donc l’opportunité parfaite pour découvrir un passage important du cinéma japonais dans de bonnes conditions.


Site d'origine : Ciné-vrai

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le 31 oct. 2020

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