L'insoutenable poids de nos attentes sans réponse ...

Une vie qui suit son cours quand soudain, l'inhabituel, l'impensable et l'insupportable survient. Des enfants qui disparaissent subitement. Le cours normal de l'existence ne tient plus. Tout est alors entre parenthèse, comme un souffle retenu, un passage en apnée, où la seule issue est de trouver réponse aux questions urgentes. Où sont nos enfants ? Ces réponses, il les faut maintenant, tout de suite, hier, alors que le temps passe, jouant contre nous tous, alors, toujours enjre ces parenthèses et cet état forcément second quand l'urgence et le drame possible vous envahit et vous aliène, vous torture et vous emprisonne. Une piste à suivre à défaut d'autre chose. Un vieux camping-car.
Et puis encore des réponses qui malgré l'urgence tardent, languissent, se tapissent dans l'ombre ou ne viennent tout simplement pas et peut-être jamais. Attendre n'est plus du tout une option pour ce père qu'incarne et qu'habite complètement Hugh Jackman , alors que le temps est compté et que l'enquête n'aboutit jamais assez vite. Le voilà donc qui décide de prendre en main ces parenthèse qui lui échappent, qui accablent sa femme déjà fragile et ces autres père et mère, proches. Ses choix, dès lors, sont les choix de l'urgence, de la brute, de la survie à échelle rudimentaire. Plus des nuances , on choisit sa proie, parce qu'il faut un coupable et des réponses maintenant, parce que le doute et l'attente violent le supportable. L'enquête policière, suit donc son cours.

Parallèlement, le flic, expérimenté, mais lui aussi faillible et dans l'urgence, en proie à ses propres démons et tics nerveux ( Jake Gillenhall) , avance , en parallèle, dans les règles ou pas tout à fait. Les deux hommes pataugent, et les semblants de progrès éteints soudain par l'échec ne font que condamner et verrouiller encore et encore l'infernale situation à durer, avare de réponses immédiates, cruelle de l'attente aux relents mortels.
Chacun sur son chemin propre, tâtonnant, enquêtant, interrogeant, ou élaborant des solutions de fortune, taisant à l'autre tous les éléments, sachant que tout dire provoquera un autre basculement dans le pire . Les deux personnages centraux aussi complices dans la soif de réponse immédiate qu'opposés dans les méthodes à employer se croisent, se mentent, cherchent la même chose mais sans pouvoir jamais cohabiter. A défaut de réponse, comme il faut toujours un responsable, le blâme apparait, et toute la pression de l'instant accablant suit son cours. Un cours toujours tenu entre parenthèse par une vie figée et suspendue sur le fil du temps avec cet l'enlèvement. L'angoisse aussi de tout ce qu'il induit, avec le pire planant à chaque instant devant le cruel mystère qu'il ,implique, touchant à ce que nous avons de plus précieux.
Pour les deux hommes, de doute nous passons à certitude et de certitude nous passons à l'acte, pour que nos erreurs soudain s'affichent irréparables et révélatrices de nos limites humaines et failles multiples. Sans que la réponse attendue n’arrive à temps, possiblement jamais. Les fillettes ne sont toujours pas retrouvées.
La pression devient énorme pour un père à bout, 2 familles désemparées devant cette absence de réponse immédiate à un problème majeur. Le flic est expérimenté et méthodique mais comme le père a bout ou la mère dépressive, leurs failles humaines entachent un tableau déjà fort sombre.
Prisonniers de leurs limites, prisonniers que sont les proies du ou des prédateurs, prisonniers de leur soif de justice et du poids de l'insoutenable absence de réponses, prisonniers de leurs croyances, de leur vengeance ou de leurs limites tout simplement humaines, ces personnages déambulent devant l'écran, et le labyrinthe ne révèle toujours pas ses secrets, sous le poids de serpents et de sang, de prière et de soif vengeresse ou d'impulsion trop humaine.
Or rien n'est parfait, infaillible devant les méandres de la prédation humaine, la folie ou la malveillance. Chacun a sa proie, son captif, mais personne ne peut être absolument sûr que la réponse est là. Et puis ce cadavre au fond d'une cave pour une justice des hommes, aussi implacable que folle, à moins que...
Comment ne pas sombrer quelques instants dans une folie fugace face à l'insurmontable et cruelle pression de l'absence, du mystère, de l'angoisse du pire touchant à ce que nous avons de plus précieux au monde, nos enfants. Comment rester zen, comment s'en remettre à l'attente et la confiance alors que l'on sait tous combien, nous sommes justement prisonniers de nos propres limites.
Cachés du monde visible, les secrets restent enfouis dans leur labyrinthe de terre et de mondes torturés.
Or ce film avec une certaine majesté plante ce décor lourd et sombre, pose ces questions sans réponse immédiate et laisse culminer l'aléatoire mais urgent réquisitoire qui doit faire cracher la réponse à nos tourments, tous traumatisés que nous sommes et en proie à cet état second imparable que l'évènement suscite.
Et nous nous retrouvons précisément ici, en cet espace ténu, spectateurs, précisément entre ces parenthèses, suspendus sur ce fil si fin devant un vide narquois, en cet entre-deux où les vies normales s’interrompent car il manque soudain ce qui donne justement sens à ces dernières : nos aimés, nos enfants, nos repères.
Personne ne peut plus agir normalement. C'est l'état d'urgence à échelle individuelle, mentale, nerveuse. Et si le coupable ne se présente pas, il faut en trouver un, vite. Et tant pis pour le reste, les erreurs car il fallait avancer, punir et au nom de dieu, de la famille , de la justice ou de la souffrance. L'existence nous a pris un enfant, dieu ou quelqu'un devra payer. Parce que l'insupportable est le vide, la non-réponse, la frustration de ne pas obtenir réponse à l'attente.
Et voilà ce qu'entre autre " Prisoners " présente, dresse dans la salle obscure? devant nous.Denis Villeneuve, déjà incroyablement frappant de talent avec " Incendies ", inoubliable, signe ici une belle incarnation cinématographique.
Pas une seule fausse note pour une ambiance de plomb, sans un seul sourire aux lèvres et des interprétations remarquables, des premiers comme des seconds rôles. Même si l'on peut rester sur sa faim, attendant parfois d'autres réponses, comme conditionné par un cinéma tendant à reproduire le schéma habituel du thriller classique.
Or si il est bien une attitude salvatrice pour vivre ce film avec appréciation, c'est bien justement sans attendre l'habituel, l'omniscient flic ou le dénouement dramatique ou heureux auquel nous sommes trop habitués. Ces gens sont le reflet d'une normalité humaine à notre échelle de spectateurs. En pareille situation, allez donc trouver un flic super-héros ayant réponse à tout ou des parents capables d'attendre les bras croisés, sans rien essayer...
Il faut s'attarder sur chaque instant qui passe, sans attendre, là où tout se joue dans cette infime interstice , quand on ne peut, tous, , prisonniers des circonstances anormalement dramatiques , jouer nos rôles habituels.
Et là, je m'interroge : quelqu'un en ce monde est-il véritablement à l'abri de ces réponses trop humaines parce qu'imparfaites, produites dans l'urgence ou ces erreurs de parcours, ces non-sens ou ces impulsions, face à la cruauté d'un très et trop silence, mystère et angoisse insoutenable du pire ?
Nous sommes prisonniers de nous-mêmes et de nos limites et geôliers en puissance. Emprisonner est peut-être parfois notre seul recours, notre seule... Réponse. Nous faire gardien de cette prison qui rassure, apaise un peu, fait espérer et assouvit nos pulsions, nos frustrations et nos angoisses.
Que l'on s'insurge contre Dieu, contre la foi, contre l'injustice, l'imperfection, le drame, la maladie, l'accident ou le malheur, la soif de réponse ou de justice devant le drame et l'implacable rythme effréné de l'urgence produit inévitablement l'animal sauvage, l'homme face à ses limites humaines, prisonnier et geolier à la fois, anormalement normal.
Or c 'est là que ce film est intéressant : dans les limites qu'il dépeint, ces barreaux qui nous enferment tous. Car la vie ne donne pas, c'est un fait, réponse à toutes les énigmes, prières et doléances, produites en implorant, hurlant, exigeant, en l'instant demandé.
Les labyrinthes ne révèlent pas toujours leurs issues, et les prisons (psychologiques) sont éternelles. Quant aux réponses à nos questions, nos soifs, il ne faut sans doute pas toujours attendre dieu eu bout du chemin, mais la réponse humaine. Trop humaine et donc encore une fois anormalement " normale". Et c'est je crois ce que sait magnifiquement projeter à l'écran ce que nous venons ici de voir. Cauchemar réaliste et surtout, surtout, à échelle humaine. Parce que les prisonniers, de cette existence limitée à nos impuissances et nos omnisciences absentes et face à trop souvent de bien vaines attentes, qui sont-ils ? Face au drame ou l'irrémédiable perte du cher que nous voudrions éternel, n'est-ce pas donc nous tous, ici et maintenant, captifs et condamnés à vivre toujours dans ce cachot existentiel, dont les murs infranchissables sont justement nos propres limites humaines, les geôliers autant que les prisonniers ?
Fullstorm
8
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le 19 sept. 2014

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