Ces dissonances qui font passer un film à coté de ce qu'il aurait pu être…

C’est terrible les asymétries.
Il suffit d’un élément qui se disjoigne de tout le reste pour qu’on ne voie plus que lui.
Et le pire c’est que ça marche dans les deux sens.
…Y compris quand il s’agit d’un élément remarquable qui ressort d’un ensemble plutôt quelconque.


Prenez ce Promising Young Woman par exemple.
A bien tout prendre il s’agit d’un film banal, voire plat, sur pratiquement tous ses aspects.
Le premier contact est d’ailleurs loin d’être flatteur.
Discothèque. Musique de minettes. Des hommes parlent au beau milieu d’un cadre bien triste.
Les premières lignes de dialogue sont sans ambigüité : ces hommes sont des beaufs, des mufles, des queutards. Rien à sauver…
Et c’est à ce moment là qu’ils surprennent une pauvre jeune-femme sans défense. La proie idéale. L’un d’eux pense d’ailleurs pouvoir exploiter la situation à son avantage, sauf que…
Et franchement c’est ce « sauf que » qui chez moi sauve cette introduction de la platitude les plus mornes, car pour le reste – et au premier abord – ce Promising Young Woman n’a vraiment rien d’engageant.


Pas subtil. Pas élégant. Même pas vraiment beau.
Clinquant mais lisse.
Trop conventionnel dans la rupture.
Trop vigilante repeint à la sauce #MeToo
Et pourtant…


Et pourtant au fur et à mesure des minutes qui s’égrainent, un élément se met progressivement à surnager.
Quelque-chose qui détonne parmi l’ensemble ; qui rappelle tous le reste à ses insuffisances…
Et ce quelque-chose c’est l’écriture.


D’abord assez balourde et binaire – à poser une opposition simpliste entre hommes gros beaufs d’un côté et femme vigilante bad-ass de l’autre, le script parvient à enrichir et nuancer son approche de la question à chaque nouvelle séquence abordée.
Certes il faut attendre un certain temps, mais à force du superposer les couches, le scénario amène à remodeler le regard que l’on porte sur l’héroïne, sur ses motivations et surtout sur la complexité de la situation.
Arrivé sur le dernier tiers, j’ai même été surpris de la réelle habilité avec laquelle cette écriture pouvait parfois gagner en richesse et surtout en audace.
Richesse d’abord parce qu’à chaque opération vengeresse menée par Cassandra, le déroulement de la scène sait semer le chaud et le froid sur les actions menées.
Jusqu’où va-t-elle aller ? Quelles lignes va-t-elle franchir ? Allons-nous cautionner ?
Et même si le script ne quitte jamais vraiment une démarche ouvertement pédagogique – ce qui aurait de quoi en crisper plus d’un (pour ma part je déteste qu’on me fasse la leçon au cinéma) – d’un autre côté je trouve qu’en contrepartie ce dernier parvient toujours à compenser cette pesanteur démonstrative par un art assez habile du contrepied qui enrichit clairement la démarche et le propos.


(Par exemple j’ai trouvé la séquence avec Alfred Molina bien amenée, quand bien même manque-t-elle de retenue sur son final, mais on en reparle très vite.)


Et il en va au fond de même avec l’audace.
Pour ma part j’avoue avoir été agréablement surpris par la tournure du final car, s’il y avait des points que j’avais vu venir depuis trop longtemps pour qu’ils m’impactent vraiment…


(Notamment le fait que Ryan fasse partie des agresseurs de Nina.)


A contrario il y a aussi des choix radicaux qui ont été pris dans ce film et que je n’avais clairement pas vu venir.


(Comme le fait que Cassandra finisse par se faire assassiner. Sur ce coup-là : chapeau.
J’étais d’abord en train de grogner en me disant qu’elle allait faire faussement la morte avant de se réveiller et que ça allait être grossier. Et puis voyant que l'autre lui prenait le pouds en permanence, je me suis que ce qui allait peut-être sauver notre bonne vieille Cassie ce serait ce gars qui n'avait pas bu sa Vodka-somnifère et qui, surgissant de nulle part, allait être celui qui au final la sauverait. Alors du coup j’ai attendu… Attendu encore… Et puis – bim ! – le petit matin. La désillusion totale. Typiquement le genre de douche-froide qui me manque au cinéma.)


Et si d’ailleurs je suis finalement sorti assez satisfait de ce film, à bien tout prendre, c’est surtout grâce à toutes ces habilités de scénario.
Seulement, il se trouve que c’est aussi à cause de ça que je suis aussi sorti de cette séance bien frustré.


Bah oui, frustré.
…Parce que l’air de rien un scénario comme ça méritait un autre film.
Car j’ai beau me repasser les choses dans ma tête, beaucoup trop d’aspects de ce long-métrage ne sont pour moi clairement pas à la hauteur de cette écriture.
Ces musiques guimauves. Cette photographie chaude. Ce format scope qu’Emerald Fennell peine quelques fois à remplir.
Et surtout cette direction d’acteurs qui rend parfois certaines réactions totalement dissonantes…


(Moi par exemple, ces moments de béatitude mièvre que connait Cassandra face au doux Ryan, je trouve qu’ils ne collent clairement pas au personnage qui nous est dépeint. Avec son vécu, Cassandra devrait garder sa carapace plus longuement, ne jamais se livrer, quand bien même le voudrait-elle.)


D'ailleurs le choix des acteurs peut aussi être perçu comme un problème.
Trop de bellâtres au visage lisse qui donnent l'impression qu'on regarde une série pour ados.
Même Carey Mulligan au fond ne colle pas à son rôle. Ça se voit qu'elle a plus que les trente ans que son personnage est censé avoir.
Je trouve même que ça fausse notre première approche du personnage.
J'irais même jusqu'à dire que ça participe à rendre ce personnage lui aussi dissonant car, à l'écran comme dans mon esprit, Cassandra est restée davantage une femme qui approche de la quarantaine plutôt qu'une femme qui vient seulement d'atteindre la trentaine.
Et ça a forcément une incidence dans notre manière de nous projeter dans Cassandra car une femme n'aborde clairement pas ce genre de situation selon qu'elle ait 30 ou 40 ans.
En fait, c'est triste à dire mais formellement parlant, ce film n’a pas l'exigence de ses idées.
Pire, il n'en a pas l'habilité ni l'audace.


Et alors que vient le moment de faire un bilan de tout ce film, au final je retombe encore sur ce foutu et même problème.
…L’asymétrie.
Cette fameuse dissonance.
J’imagine ce qu’aurait été un tel scénario entre les mains d’un Jean-Marc Vallée, d’une Susanne Bier, voire d’un Woody Allen au temps de Match Point.
Il y aurait eu plus de contraste. Plus de raideur. Plus de subtilité dans le jeu d’acteur aussi…
Certaines scènes s’en seraient retrouvées transfigurées.


(On en parlait tout à l’heure, mais sûrement qu’entre d’autres mains Molina n’aurait pas sombré dans l’excès de rédemption à la fin de sa scène. Même chose pour l’intro qui aurait sûrement gagné en tension et en ambigüité. Et que dire de la scène où Cassie découvre la vidéo qui incrimine Ryan ? …Entre d’autres mains on aurait évité d’en faire trop. Là, entre la musique et le surjeu de Mulligan, ça vire au grossier. Et moi c’est le genre de trucs qui me sortent d’un film. Une femme comme Cassie n’est pas du genre à pleurer mais à se refermer tout de suite. On aurait dû voir un bloc se verrouiller à nouveau. Revoir la prédatrice sans cœur de l’intro. L’impact aurait été bien plus dévastateur et riche de sens.)


D’ailleurs en poussant même un peu le raisonnement, peut-être qu’entre d’autres mains, certains passages du script auraient été aménagés différemment pour gagner en ambigüité et en rudesse.


(L’intro se serait sûrement un brin complexifiée et surtout peut-être qu’un autre auteur aurait eu l’audace d’aller plus loin dans le final. Au lieu de laisser une justice post-mortem se réaliser, un metteur en scène plus audacieux aurait peut-être pris le risque de conclure sur Ryan se retrouvant face au poids de sa culpabilité. Pour le coup ça aurait été bien plus déstabilisant pour le spectateur.)


...


Mais bon, tant pis.
Promising Young Woman n’est que Promising Young Woman et il faut donc savoir faire avec.
Et à bien tout prendre, je pense qu’on aurait justement bien tort de ne pas faire avec.
Car quand bien même cette foutue dissonance pourra frustrer en faisant penser au film qu’il aurait pu être, Promising Young Woman offre déjà suffisamment pour satisfaire…
…Parce qu’en fin de compte, n’est-ce pas justement déjà un sacré point fort pour un long-métrage que celui de parvenir déjà à nous sortir du rang et à savoir générer en nous une certaine forme de dissonance ?


Comme quoi il n’y a pas que du mauvais dans les dissonances.
Mieux encore…
Ces dissonances là sont parfois même le signe qu’il y a là-dedans une base pour quelque-chose de singulier…
…Quelque-chose qui attend peut-être un jour de mûrir.

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le 5 juin 2021

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