Psycho (Alfred Hitchcock, U.S.A, 1960)

En 1960, à Hollywood, est encore en vigueur le Code Hayes, une charte en plusieurs points, active depuis les années 1930, censée guider les tournages pour que ne soit pas proposé n’importe quoi aux spectateur/rices américains. Un film ne doit ainsi pas encourager des mœurs déviantes, ou être anti-américain, la violence doit être atténuée, et les protagonistes doivent être irréprochables. Même si depuis son apparition en 1934 certains metteurs en scène malins ont réussi à contourner le code, par des artifices, il demeure actif jusqu’en 1968.
Lorsque Alfred Hitchcock adapte ‘’Psycho’’, roman éponyme de Robert Bloch sorti en 1959, c’est un vrai challenge qui s’offre à lui. Dans le récit il y a de la nudité, un personnage principal déviant, du sang, des meurtres, et une violence frontale qui n’a pas sa place dans une production hollywoodienne. Hitchcock se livre alors à un bras de fer sans merci avec la censure, dans l’unique but de faire aboutir ses choix artistiques.
En cela ‘’Psycho’’ apparaît comme une œuvre particulièrement moderne, puisqu’elle aborde des thématiques qui en 1960 sont absentes dans le cinéma hollywoodien, mais surtout elle pose les bases d’un genre à paraître : le Slasher. Tous les éléments y sont présents, bien qu’il faut attendre le milieu des années 1970 pour voir apparaître une codification bien précise de ce sous genre de l’Horreur.
‘’Psycho’’ commence comme un petit thriller des familles, et suit le parcours de Marion, en fuite après avoir volé quelques milliers de dollars. Pendant sa cavale, elle s’arrête dans un petit motel typique des bords de route, qui peine à survivre depuis la construction d’une autoroute en parallèle. Il est donc vide, excepté le gérant, Norman, qui vit un peu plus haut dans une maison avec sa mère. Il fait nuit, il pleut, l’intérieur du motel est remplit d’oiseaux empaillés. Le cadre pose une ambiance gothique des plus convaincante.
C’est dans ce petit motel miteux que l’une des scènes les plus célèbres du cinéma prend place. L’assassinat au couteau de Jamet Leigh (Marion) dans sa douche. Séquence légendaire accompagnée par la partition musicale d’exception, signée de Bernard Hermann, rythmée par un montage hyper cuté (pour feinter la censure) et la présence d’une silhouette assassine non-identifiée, qui vient renforcer le surréalisme de l’ensemble, au cœur d’une œuvre marquante, accusant particulièrement bien le poids des années.
Si aujourd’hui nos rétines sont habituées à bien pire, il faut bien prendre en compte que pour 1960 ça va beaucoup trop loin. Ce qui fait que la censure s’est retrouvée bien emmerdée face à ce film. En particulier cette séquence sous la douche, et le twist final complétement tordu. ‘’Psycho’’ est pour son époque une œuvre novatrice mais radicale, qui signe l’acte de naissance d’un nouveau genre. Des cinéphiles amateurs, qui deviendront cinéastes par la suite, sont influencé par le film, et ce qu’ils ou elles porteront à l’écran, bien des années plus tard, c’est leurs interprétations personnelles du film d’Hitchcock.
Le cinéma de Brian DePalma n’aurait sans doute pas été le même sans ce film, le ‘’Halloween’’ de John Carpenter aurait été bien différent s’il n’y avait pas eu ‘’Psycho’’. C’est tout un genre phare des années 1980, qu’est le Slasher, qui n’aurait pas existé sous la forme qu’on le connaît actuellement. ‘’Psycho’’ est un tremblement de terre dans l’entertainment hollywoodien.
Au départ, le personnage principal est Marion, une voleuse qui fuit, c’est donc une personne non recommandable. Mais elle tombe sur bien pire qu’elle, ainsi le film s’enfonce dans le Noir le plus profond, que renforce un Noir & Blanc d’époque des plus sublime, qui par moment fait pencher l’œuvre dans un onirisme le plus total. Une fois arrivée dans le motel le point de vue change, embrassant celui de Norman Bates, le gérant. Puis le récit s’enfonce dans sa psyché malade, jusqu’aux affres de la folie la plus pure.
Pour 1960, Norman Bates est un personnage qui selon le Code Hayes ne peut exister. C’est un personnage instable, psychologiquement atteint, un assassin, qui plus est refoule une homosexualité sous-entendu, un élément alors impensable dans une œuvre hollywoodienne. Le film vient ainsi briser de nombreux tabou, mais le plus force est que ce n’est pas l’objectif principal d’Hitchcock. En effet, lui il raconte une histoire, la met en scène, et fait évoluer ses personnages. Il n’y a pas à la base de volonté de choquer.
Hitchcock adapte sa mise en scène pour contrer le Code Hayes, et non l’inverse. Il ne met pas en scène des tabous, pour mettre en scène des tabous. Ils sont une part naturelle de l’histoire, et lui, il réfléchit avec quel angle il va pouvoir conter son histoire. C’est en cela que ‘’Psycho’’ sort du lot des productions de l’époque, il est déjà un peu au-delà, c’est une œuvre post- Code.
De nombreux passages du film seront repris ici et là, approfondit et améliorés. Pour exemple, la séquence de la douche, où l’on ne voit pas grand-chose, si ce n’est un couteau, qui fait des vas et vient, le visage de la victime qui hurle, du sang qui coule dans la baignoire, et c’est tout, invoque l’imaginaire de son audience. Et c’est ce qui rend ‘’Psycho’’ aussi efficace si longtemps après sa sortie.
Cette œuvre demeure, encore aujourd’hui une expérience de cinéma. Une attraction qui balade son audience dans les coins et les recoins d’un esprit malade, manipulateur et assassin, pour s’enfoncer crescendo, à mesure que le récit défile, dans une épouvante des plus épidermiques, où chaque plan offre son lot de frissons. Jusqu`à la macabre découverte qui vient clôturer le métrage, et faire entrer Norman Bates au panthéon des tueurs iconiques du cinéma américain.
‘’Psycho’’ c’est une œuvre phare, une production clé, ayant ouvert la porte à de nouvelles audaces et une liberté retrouvée pour de nombreux cinéastes sur le point de prendre d’assaut la capitale du cinéma. Cela prend plus d’une décennie, mais avec l’émergence du Nouvel Hollywood à la fin des années 1960, qui coïncide avec la disparition d’un Code Hayes obsolète, l’écho de ‘’Psycho’’ résonne.
Puis à la fin des années 1970, avec ‘’Halloween’’, dont la scène d’introduction fait un lien avec la séquence de la douche dans ‘’Psycho’’, naît officiellement le Slasher, ce sous genre parfois conspué pour sa facilité, et le nombre d’œuvres génériques qui en ont découlées, qui doit néanmoins, son existence à ‘’Psycho’’ sorti deux décennie plus tôt. Temps nécessaire d’adaptation pour amorcer une évolution à Hollywood.
‘’Psycho’’ est ainsi plus que le chef-d’œuvre ultime d’un metteur en scène de génie, c’est vraiment une porte qui s’ouvre à Hollywood, un chef de file d’une nouvelle manière de penser le cinéma, dont l’impact est inquantifiable sur la production. Aujourd’hui encore il s’avère inégalé, de par la virtuosité d’une mise en scène hallucinante de justesse. Tel une fenêtre hors du temps, ‘’Psycho’’ traverse les années et les décennies, indétrônable. Une œuvre unique dans son genre qui marqua Hollywood d’une empreinte indélébile. Il y a 60 ans déjà.


-Stork._

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le 22 févr. 2020

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