Il est bien entendu absolument absurde de vouloir écrire une critique intéressante au sujet d'un film sur lequel tout a déjà été écrit depuis des décennies maintenant. Je vais donc me contenter, non de faire une critique alors que tant d'autres l'ont déjà fait bien mieux que je ne le pourrais jamais, mais de donner des impressions personnelles sur "mon" Psychose.
Avant d'aller plus loin, il est indispensable de prévenir que ce texte s'adresse à CEUX QUI ONT VU LE FILM ! Je n'hésiterai pas à y dévoiler des choses essentielles.

Chaque fois que je revois ce film, je suis étonné de m'apercevoir que Psychose part dans tous les sens. Comme si Hitchcock avait eu des idées pour trois ou quatre films différents et qu'il avait tout réuni ici. Entre la scène d'amour du début, la plongée dans l'antre dément des Bates et l'enquête d'Arbogast, il semble y avoir des frontières, des changements de catégorie. Comme une volonté de concilier des domaines apparemment inconciliables.
Et pourtant, d'un certain côté, c'est justement cette faculté de partir dans tous les sens qui participe, à mes yeux, du génie de ce film. D'abord parce que ça fait de Psychose un film inclassable. Psychose est une œuvre unique, un de ces OVNI cinématographiques qui ne ressemblent à rien et dont le génie explose à chaque image.
Générique et musique nous plongent d'emblée dans une ambiance de folie et d'angoisse. Rien ne reste en place, tout semble "délirer" dans le sens originel du terme, c'est-à-dire sortir du sillon, sortir de la droite ligne, sortir du chemin tracé. Les stries angoissantes des cordes de Bernard Herrmann et les lignes cassées du graphisme de Saul Bass renvoie à un univers angoissant sans que l'on sache encore vraiment pourquoi.
D'autant plus que les première images, la séquence d'ouverture elle-même semble contredire cette impression. Hitchcock privilégie alors un ultra-réalisme qui ne lui ressemble même pas. Les images de Phoenix, Arizona, sont presque documentaires. Et l'histoire est d'une banalité affligeantes : une jeune femme amoureuse vole l'insolent argent de son patron en pleine transaction pour partir convoler avec son chéri.

Mais là, une image marque m'a frappé (c'est bizarre, jusqu'à présent, cette image ne m'avait pas frappé plus que ça, mais cette fois-ci, ça a été évident). On y voit la voiture, rendue toute petite par l'effet de perspective, partir au loin dans un paysage devenu tout noir et menaçant. Le véhicule semble s'enfoncer dans un pays sombre et angoissant.
A ce moment, le film change de domaine. L'angoisse semble habiter chaque scène, le moindre plan recèle son lot d'une peur qui n'est plus enfouie. Le paysage, le policier, la météo, le vendeur de voitures d'occasion, tout devient menace, le danger est partout. Au point que nous presque à la frontière du surnaturel : ce policier qui paraît surgir de nulle part à deux occasions, qui voit tout, surveille tout, devine tout peut-être, avec ses lunettes d'un noir effrayant. La musique de Herrmann, qui revient pour nous frapper par sa violence. Et la maison Bates qui se dresse comme le château d'un roman gothique d'Ann Radcliffe.
Le film semble alors s'emballer. Le rythme, plutôt lent jusque là, s'accélère d'un coup. Le spectateur, à l'instar de Marion, est pris dans un tourbillon, dans un trou noir qui l'enfonce toujours plus loin dans les ténèbres, comme le sang disparaît dans la bonde de la douche, comme la voiture disparaît dans les marécages. L'image du trou noir qui avale tout ce qui arrive à sa portée semble présent à l'écran dès que l'on a vu ces terrifiantes lunettes de soleil du policier. Deux trous noirs qui semblent vous fixer, n'attendre que vous.
A l'inverse de cette spirale infernale qui nous entraîne vers le fond, le dernier acte du film (celui qui nous montre l'enquête de fiancé Sam et de sœurette Leïla) est marqué par un mouvement ascendant. On y voit la caméra se relever ; Leïla monte vers la maison Bates, puis vers les étages de cette même maison. La recherche de la vérité se montre comme une remontée à la surface de ce qui était enfoui, d'où l'image finale sur la voiture (accessoirement, c'est aussi une mise en lumière : c'est dans cette dernière partie que l'on voit, pour la seule fois du film, la maison Bates en pleine lumière, perdant ainsi son aspect terrifiant).

A propos de terrifiant, ai-je dit quelque chose au sujet des décors ? J'ai déjà mentionné la maison Bates, sorte de château gothique installé sur sa colline te dominant la scène. Cette disposition est d'ailleurs significative : la maison, domaine de la mère, domine le motel, domaine du fils : tout le fils est déjà présent là !
Et on ne parlera jamais assez de ce monstrueux dîner que prend Marion avec Norman et ses oiseaux empaillés ! Ces oiseaux-ci sont infiniment plus terrifiants que ceux que le même Hitchcock filmera trois ans plus tard.
Techniquement, le film me paraît basé sur les contrastes. Contrastes entre moments calmes et accélérations irrationnelles. Contrastes entre le Norman froidement calculateur qui va laver les traces de sang et faire disparaître le cadavre de Marion et le Norman complètement décontenancé interrogé par Arbogast et qui ressemble alors plus à un gamin pris à voler des bonbons. Contraste entre noir et blanc, bien sûr, le sombre et le lumineux, qui est magistralement illustré dans la fameuse scène de la cave, où sont réunis la mère et le fils et où la lampe vacillante permet au cinéaste de jouer avec ombres et lumières, non pas en opposition mais en complémentarité.
Contraste aussi particulièrement travaillé entre musique et silence, chacun rendant l'autre angoissant. "Oulala, il y a de la musique, il va se passer quelque chose ! " puis, quelques minutes plus tard : "oulala, il n'y a plus le moindre son, il se passe quelque chose !"

Voilà.
Comme je l'ai dit au début, je me permets d'écrire un petit truc très court sur le film, juste pour dire à quel point je l'aime. Pourtant, je ne fais pas partie de ces admirateurs d'Hitchcock qui hurlent au génie à la moindre image du cinéaste. je n'ai jamais compris l'admiration de certains pour Les Oiseaux ou pour Mort aux trousses, et Fenêtre sur cour m'ennuie prodigieusement. Mais le cinéaste reste, pour moi, un de ceux qui ont le mieux filmé la folie. La Maison du Docteur Edwardes, Psychose ou Vertigo, Hitchcock a eu l'art de faire des films fous pour faire vivre la folie (et non pour la montrer).

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le 7 juin 2014

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SanFelice

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