Même si les deux films n'ont pas grand chose à voir en termes d'ambitions artistiques, je rapproche volontiers Quai d'Orsay de La Conquête, réalisé deux ans plus tôt. Comme Durringer, Tavernier propose une joyeuse exploration, pleine de cynisme, du grand cirque de la politique française. Et quand je dis "cirque" ce n'est pas une façon de parler. Pousser les portes du quai d'Orsay, c'est pénétrer un chapiteau sous lequel une troupe de clowns et de magiciens s'agite selon ses propres codes dans une atmosphère parfaitement absurde.
Pour un peu on en oublierait presque qu'on parle de politique dans ces couloirs. Sous le règne d'un ministre à l'image de son époque, tout devient prétexte à occuper l'espace avec des mots vides de sens. Le discours passe avant l'acte, la forme avant le verbe, le stabilo avant la plume, la communication avant tout. Notre brave ministre tyran, érudit de pacotille épris d'un philosophe de comptoir et de ses consternants aphorismes, brasse beaucoup d'air, et donne à la diplomatie une consistance pathétique. Le contraste est saisissant avec le Villepin qui était presque érigé en héros national après son discours à l'ONU en 2003 et en sex-symbol après son jogging en maillot de bain à La Baule.
En coulisses, c'est tout un commando qui tente tant bien que mal de mener la barque, bien consciente qu'il ne faudra pas trop compter sur son capitaine pour suivre le bon cap. D'ailleurs le taulier de la baraque n'est autre que le dircab (formidable Niels Arestrup), un homme discret, dévoué, sans le moindre ego. Un vrai politicien à qui il ne manque que la carrure, la prestance, l'élocution, le physique pour incarner la face visible du Ministère.
Je ferais preuve de mauvaise foi en disant que Quai d'Orsay ne force pas le trait. Mais derrière cette caricature se cache un humour décapant, vif, d'une extrême intelligence, ainsi qu'une véritable vision de cinéma et un regard différent sur la politique. Au sortir de ces deux heures, on a d'ailleurs du mal à imaginer que les choses se passent autrement derrière les murs du vrai ministère.
Lhermitte a eu le bon goût de ne pas chercher l'imitation et de chercher sa propre voie dans l'interprétation de ce boss incompétent, ingérable et donc parfait pour le job. S'il a parfois tendance à réciter, il trouve souvent le bon rythme dans ces tirades mémorables qui tirent vers la diatribe absconse. Mais c'est surtout Arestrup qui impressionne. Chacune de ses réactions face aux caprices de son supérieur, même la plus stoïque, constitue une magistrale leçon d'acting, et la preuve irréfutable que ce mec sait tout faire. Enfin, j'ai été beaucoup surpris par la spontanéité et le naturel de Raphaël Personnaz, effectivement un gars à suivre.