Quand on a 17 ans, on ne sait pas ce qu’on sera à 73 ans.

Il y a Tom, et il y a Damien. Il y a deux aimants qui se repoussent inlassablement, et qui se rapprochent avec violence, avec choc, avec fracas. Il y a deux êtres à la lisière de leur vie d’adulte, et les autres, en fond, qui mériteraient qu’on s’intéresse aussi à eux.


Aïe. André Téchiné propose à son public fidélisé un long-métrage nommé Quand on a 17 ans, et omet de le prévenir que ce bel âge ne nous sera montré qu’à travers deux personnages qui ne représentent la jeunesse d’aujourd’hui en rien. Sauf peut-être par le simple fait de demander à deux jeunes comédiens prometteurs – Kacey Mottet-Klein et Corentin Fila – de jouer dans son film. Dont l’un a presque la trentaine. Force est de constater que le nouveau Téchiné est le film d’adolescence d’un cinéaste vieillissant.
La jeunesse d’aujourd’hui est la grande absente. Celle connectée, celle qui a des raisons de vouloir en découdre, celle qui a besoin de faire entendre sa voix. Celle qui est mixte, nuancée, polymorphe. Elle est absente alors même que les deux comédiens étaient là pour nous en donner le goût. Mais l’adjectif qui ressort est celui-ci : grossier. Les acteurs ne surjouent pas tant que ça : c’est le scénario qui est surécrit. Les dialogues sont parfois trop hors-contexte, parfois trop écrits, parfois encore trop déconnectés du sentiment humain. Ils sont d’un autre temps mais essaient de s’adapter, en vain. Il y a du trop qui n’est pas assez. Et cela fait naître un décalage abyssal avec cette volonté pourtant perceptible, dans le filmage en caméra à l’épaule et dans le jeu des comédiens, de montrer le réel, le vivant. Ce qui est proprement déconcertant – si, vraiment – c’est qu’il y a quelque chose qui tend à une cassure dans ce film. Comme si Eric Rohmer s’était mis à écrire pour Abdellatif Kechiche. Téchiné, accompagné par Céline Sciamma (le malheureusement mal écrit Tomboy), se fait bipolaire dans son travail – préparation/écriture contre tournage/montage – et le grand-écart sur grand écran ne prend pas. D’un côté, il y a la mère bourgeoise qui ne veut faire que le bien autour d’elle, et qui aime son mari, l’attend sagement à la maison, et soutient son fils quoi qu’il arrive. De l’autre, il y a le modeste père agriculteur très peu présent, qui travaille dur et a le sens des valeurs traditionnelles. Il y a un gamin aisé, fils à maman, qui se touche tout le temps la boucle d’oreille, la retire, la remet, en change, et s’habille et se comporte de manière assez féminine. De l’autre, il y a un jeune rustre métis qui s’occupe des vaches, est solitaire et tient beaucoup à sa montagne. Bref, les personnages sont tellement typés, voire manichéens pendant une longue durée, que tout semble clair dès le départ. Et là est le problème : avec une matière narrative et scénaristique très attendue, pleine de canevas, le film pêche par le fait qu’il prend son spectateur pour un imbécile. Car il faut vraiment avoir le QI de Bob L’Eponge – dans son dernier film d’animation – pour ne pas ressentir dès les premiers plans une tension érotique, passionnelle, qui est palpable et appuyée. Le personnage incarné par Corentin Fila – qui bien évidemment était jusque là mannequin – dégage une aura mystique qui le rend longtemps passionnant, même dans un plat quotidien ; mais son air nonchalant et sa paire de fesses omniprésente s’essoufflent, et laissent transparaître le vide du texte, tout comme la péripétie dramatique dans la famille de Damien, qui ne surprend qu’eux – et encore. Le spectateur a déjà tiré le fil de l’histoire jusqu’au dernier millimètre quand l’image, elle, nous annonce avec humour « hé non, les amis, il reste encore un trimestre de l’année scolaire à voir ! ». S’en dégage un véritable problème de rythme, puisque la trame convenue ne se fait même pas oublier dans les plans, dans les actions, dans les gestes, où une platitude demeure, quitte à en devenir ou risible, ou morne.
Néanmoins, il reste bien des meubles à sauver de la noyade. Une nature subjuguante dans les paysages proposés, qui s’observe au fur et à mesure des saisons, et qui aère les séquences. Deux jeunes garçons touchants dans leur jeu, dans leur être. Et voilà. Sandrine Kiberlain signe, il semblerait, son premier film en tant que comédienne qui joue faux – ça ne marche à aucun moment, ni dans le bonheur, ni dans le professionnalisme, ni même dans le pathos. Même les costumes font faux, puisque surréfléchis jusqu’à caricature : Téchiné semblerait n’être pas allé depuis longtemps à une sortie de lycée, et pousse alors inutilement les différences entre les deux protagonistes à leur paroxysme. Même un vers de Baudelaire peut être malvenu, c’est dire si ce film est balourd et, en une scène de repas dans les vestiaires, nous a déjà tout dit. Bref, cette réalisation est presque comme cette critique : sans queue ni tête, informe, avec de belles intentions, une idée de base qui pourrait tenir la route et peut-être même toucher son destinataire, mais le manque d’inspiration – ou de connaissance sur son sujet – pousse à soumettre ce qui est de l’ordre du brouillon.


L’ensemble paraît factice, à l’exception de ces deux jeunes hommes à qui on aurait dû laisser le soin d’improviser pour que l’émotion et la vraisemblance, l’harmonie comme dirait Brecht, soient de la partie. Avec un texte pareil, même notre Gérard Jugnot national – qui a toujours tout accepté, inspirant même la remise des Gérard – aurait piétiné ou refusé le rôle.

Julien_Gallett
5
Écrit par

Créée

le 23 avr. 2016

Critique lue 658 fois

2 j'aime

Julien Gallett

Écrit par

Critique lue 658 fois

2

D'autres avis sur Quand on a 17 ans

Quand on a 17 ans
RenanCottrel
8

Par Défaut

Par défaut. C'est ça, c'est par défaut que j'ai vu ce film. Il fallait que je vois un film ce 3 avril, sinon je perdais ma place sur ma carte Pathé. J'ai choisi celui-là. Comme ça, juste sur le nom...

le 3 avr. 2016

20 j'aime

1

Quand on a 17 ans
mymp
6

Cueillez, cueillez votre jeunesse

Le rapprochement ne surprend pas, il serait presque d’une logique redoutable. Sous l’impulsion de Céline Sciamma, André Téchiné semble retrouver aujourd’hui une certaine vigueur, un regain certain...

Par

le 28 mars 2016

19 j'aime

Quand on a 17 ans
ffred
8

Critique de Quand on a 17 ans par ffred

Voilà plus de quarante ans déjà (Souvenirs d'en France, 1975) qu'André Téchiné égrène une filmographie aux films plus ou moins personnels et plus de vingt ans qu'il ne nous a pas véritablement...

le 30 mars 2016

11 j'aime

2

Du même critique

L'Île au trésor
Julien_Gallett
2

Vacuité.

Incroyable performance que ce film de 1 heure 37 qui ne dégage rien. Rude de le dire, mais difficile de le dire autrement. Une absence totale de construction dramaturgique - on suit le temps et la...

le 8 juil. 2018

5 j'aime

3

Saint Amour
Julien_Gallett
8

Saint Amour : un remède aux enclos de notre de temps.

Un Gérard Depardieu aussi imposant que tendre. Un Benoît Poelvoorde doux mais dépressif. Une réalisation décalée de Benoît Delépine et Gustave Kervern - les trublions du gênant Groland, dont l’un...

le 19 mars 2016

3 j'aime

Jupiter : Le Destin de l'univers
Julien_Gallett
2

Sous le choc, un fou-rire ?

Plusieurs heures se sont écoulées depuis le visionnage en salle de Jupiter : Le Destin de l'Univers. Et rien ne va mieux. Pour moi, et pour les réalisateurs, qui après l'innovante et remarquable...

le 9 févr. 2015

3 j'aime