Seul film russe à avoir obtenu, à ce jour, la palme d’or au festival de Cannes, en 1958, Quand passent les cigognes est un film tout à fait admirable, aussi bien sur le fond que sur la forme.


Sur le fond, c’est une très belle histoire d’amour, qui dénonce les méfaits de la guerre, coupable de séparer ceux qui s’aiment et qui exalte les vertus patriotiques, tout en indiquant qu’évidemment la guerre fait des victimes. Il ne s’agit pas de partir la fleur au fusil, parce qu’il faut bien avoir conscience que quand on part au combat, on risque de ne pas revenir. Inversement, rester planqué à l’arrière en prétextant que seuls les imbéciles vont défendre la patrie, n’est pas une attitude digne, tout comme pour les femmes, ne pas attendre leur bien aimé parti au front et succomber aux avances des hommes restés à l’écart du danger n'est pas une attitude noble.



A ce propos, il est intéressant de voir la différence de traitement
entre Veronika, l'amoureuse de Boris et Marc, le cousin. Veronika a
des circonstances atténuantes : elle cède à la tentation, parce
qu’elle se retrouve seule, que son amoureux s’est engagé
volontairement, ne lui donne pas signe de vie en lui écrivant et que
son cousin, lui, est là, c'est un beau garçon et il lui fait la cour.
Elle sera plus tard critiquée par sa "belle sœur" et accusée par le
père de son amoureux, pour son attitude indigne, mais elle aura droit
à la rédemption, en aidant les soldats blessés et en s'inquiétant
toujours du sort de Boris, qu'elle ne cessera jamais d'aimer. Le
cousin, par contre, n’a pas droit à la moindre compassion de la part
du scénario. C’est un salaud. D’abord tire au flanc, mais au début on
pense qu’il ne fait que profiter d’une loi qui stipule que "les gens
de valeur" bénéficient d’une exemption d’armée, on apprend ensuite que
c’est grâce à un coup tordu qu’il bénéficie de cette exemption.
D’autre part, il profite de l’absence de son cousin pour séduire sa
bien-aimée et son comportement, par la suite, ne sera jamais en sa
faveur. Il est d’ailleurs surprenant que ce cousin individualiste,
aux mœurs et à la morale si diamétralement opposées à celle du fils
Boris, héros irréprochable, vive sans heurts dans cette famille, que
celle-ci ne s’oppose pas à son mariage avec Veronika et que cette
dernière succombe à son charme et se marie avec lui. C’est même
invraisemblable. C’est, à mon avis, la grosse lacune du scénario.
Tout nous montre que Boris et Veronika s’aiment passionnément, on ne
comprend pas pourquoi elle se marie avec son cousin, d’autant qu’on ne
voit jamais qu’elle ait des sentiments pour lui. Pour le reste, c’est
excellent, et on croit, comme Veronika, jusqu’au bout et malgré les
apparences, que Boris va revenir.



Sur la forme, c’est magnifique. Le noir et blanc est somptueux, les cadrages superbes, les mouvements de caméra `virtuoses, les éclairages, les surimpressions et autres effets spéciaux très impressionnants. Parfois même trop, comme dans la scène où Veronika court à coté du train et menace de se jeter. L’excès d’effets tue un peu l’émotion, parce qu’on est plus à se dire "waouh, c’est beau !" que "Aie, aie aie, elle va se suicider !".
Mais la plupart du temps, c’est beau et émouvant, et on assiste à une succession de scènes d’anthologie, comme les scènes des amoureux, au début, la scène du départ, la scène ou Veronika découvre que l’immeuble de ses parents a été bombardé, celle du bombardement avec Marc, jouant du piano, celle de Boris se prenant une balle, dans la forêt, avec la vision subjective qu’il en a … c’est un véritable festival visuel (et auditif grâce à la musique)!


Les comédiens sont également parfaits et Tatiana Samoilova est resplendissante de beauté. Elle représente bien cette âme russe meurtrie, mais combattante et qui même si elle a fauté, par ses remords et son action auprès des soldats a droit à la rédemption et à toute notre sympathie.
Un grand et beau film.

Roinron
9
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le 19 juin 2017

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Roinron

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