Quand péplum rimait avec décorum

Ce film reste comme l'une des meilleures illustrations du cinéma hollywoodien à l'âge d'or du Technicolor, tant pour le budget considérable que pour les moyens techniques et matériels mis en oeuvre pour reconstituer la Rome impériale, et d'ailleurs la vie des Romains et leurs coutumes s'appuient sur une documentation poussée. En 1951, c'est donc bien avant Ben-Hur le premier grand péplum à grand spectacle réalisé après la guerre, qui ouvre l'âge des superproductions historiques à gros budget à Hollywood, et dont les recettes seront réutilisées, notamment pour les décors, les costumes, les accessoires, l'importante figuration... le genre est lancé, et sans le succès de Quo Vadis, Ben-Hur n'aurait pas vu le jour, même si le Samson et Dalila de Cecil B. De Mille en 1949 avait planté quelques jalons, mais c'était une fresque biblique, sous-genre qu'on a parfois à tort rangé dans le péplum pour raisons pratiques. Bref, le péplum de cette époque à Hollywood, aimait le décorum.
Grâce à un remarquable doc, le DVD révèle la genèse du film qui à l'origine devait être réalisé par John Huston, avec Gregory Peck en Marcus Vinicius, et Elizabeth Taylor en Ligiea, mais les producteurs se sont finalement félicité que Huston, peu intéressé par le projet, se retire car il aurait fait ça à sa façon qui n'aurait sans doute pas convenu à ce type de production ; quant à Gregory Peck, c'est dommage, il abandonna pour cause de maladie, car il aurait été bien plus crédible que Robert Taylor (alors sous contrat à la MGM) qui s'il n'est pas mauvais acteur, fait beaucoup trop Américain. C'est pourquoi dans les péplums, on retrouvera comme ici, de nombreux acteurs britanniques, choisis pour leur phrasé et leur accent qui conviennent mieux au type romain ; dans Ben-Hur, dans Spartacus, dans la Chute de l'empire romain, et même encore dans Gladiator, on trouve des acteurs anglais, c'est toujours un délice d'écouter leur accent distingué. C'est flagrant dans Quo Vadis avec Leo Genn qui personnifie un superbe Pétrone, avec Deborah Kerr, qui incarne une virginale Ligiea, et surtout avec Peter Ustinov qui compose un Néron dément, mais pas dans l'excessif, sa composition est au contraire mesurée mais a le don de faire passer le personnage pour un despote dérangé, c'est finement joué et c'est l'un des meilleurs rôles du grand Ustinov qui vole la vedette à tout le monde.
Ce récit grandiose et tumultueux fut d'abord un chef-d'oeuvre de la littérature qui permit à son auteur, le romancier polonais Henryk Sienkiewicz, d'obtenir le prix Nobel de littérature en 1905. Cette histoire avait déjà fourni opéras et pièces de théâtre. Tourné à Cinecitta où les Américains trouvaient des conditions de tournage adéquates (infrastructure des studios, réductions d'impôts, figuration nombreuse à bon marché, costumiers et ouvriers pour les décors...), le film brille par ses scènes de foule comme le triomphe de Vinicius depuis la via Appia jusqu'au palais impérial (avec de remarquables décors peints incrustés à des décors réels), l'incendie de Rome (bien réalisé pour l'époque), et les scènes d'arène ; il y a même une course de chars (certes moins grandiose que dans Ben-Hur).
Cependant, ce qui peut agacer, c'est la romance un peu mièvre entre les 2 personnages principaux, ainsi que le message religieux un peu appuyé, mais d'un autre côté, il faut comprendre que ça raconte l'histoire des premiers chrétiens, c'est inévitable, mais en l'état, le film ne m'a pas ennuyé, je l'ai revu avec plaisir, c'est une fresque colossale tout à fait passionnante qui brille aussi par sa musique, on y reconnait en effet le style plein de pompe du grand Miklos Rosza, c'est sa première grande partition pour une fresque historique, et on sent qu'il reprendra quelques thèmes identiques dans Ben-Hur, notamment pour les marches romaines et les trompettes glorieuses dans l'arène.

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le 19 nov. 2016

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