Lui, condamné à revivre ces pires instants. Lui, au cœur de la mort, face à sa psyché.
Traqué comme un chien errant, maudit, condamné à l'éternelle fuite en avant, John Rambo est quelque part entre la mort et l'oubli.
Symbole en chair et en sueur de ce que les États-Unis veulent -autant que possible et pour le bien de tous- occulter, il n'est plus qu'une bête, un paria, un souvenir dangereux.
Ce n'est qu'une plante dans la forêt, une poussière dans le vent, un rocher au bord d'un rivière. Un gravas.
Englouti parmi les arbres, chassé de la terre des hommes, reclus dans le fond d'un terrier, ce n'est qu'un animal animé par la simple survie.
Le paysage écrase, noie, étouffe, qu'importe, son corps est toujours là, quelque part, tapi où nul ne le devinera.
Quelqu'un s'aventure, ses chaussures s'engouffrent au sein de la terre moite peu accueillante. Les feuillages les dissimulent, les bosquets recèlent d'autant de dangers.
Le froid, la nuit et la faim auront raison de lui de toute façon.
Lui est préparé. Prêt à tout, à s'affronter lui-même.
L'Amérique a fait l'Homme à son image
"On" l'a façonné. Ce même "on" veut le détruire, l'annihiler. Hors de question. Survivre. Après tout, quel est son tort ?
L'horreur. Motif : cet être existe. Solution : l'exterminer.
"Exterminer la vermine pour que chacun puisse garder bonne mine". Beau slogan, ironique et dévastateur. Avec ça, on ratisse large. Il existe un marché pour ça, celui du biocide. Tuer la vie... Alléchant et lucide, lucratif en plus.
Mais, pourtant, il a fait tant pour.
Pour la Grande, la Belle, la Puissante et Bienfaitrice Amérique.
Celle des grands hommes, ceux du progrès, de l'avenir, ceux qui font le monde chaque jour.
Il a fait, a été sollicité.
Son corps, une arme. Ses réflexes, son instinct, seul contre tous. Moi ou eux.
Qui est-il ? inutile. Une mission : faire qu'il ne soit plus, qu'importe le moyen, qu'importe les sacrifices.
Ce chien, tout est de sa faute. Avant, c'était calme, je menais ma vie paisiblement. Maintenant je n'ai qu'une obsession, faire cesser tout cela. La cause est cet homme-si c'est un homme- et il ne peut en être autrement.
Retour au talion primitif
Derrière chaque roc se cache un Golgotha. Derrière chaque homme, un éternel pêcheur.
Le premier sang du titre est celui qui déshumanise, qui transforme en profondeur.
Être ou ne pas être tué. Tuer ou être tué.
C'est une des grandes forces de ce film, prouver qu'en créant une bête, on se détruit nous-mêmes.
Martyr, rejeté de la société, de l'humanité, John Rambo n'en demeure pas moins un reflet des scories d'une Amérique traumatisée, perdue dans sa folie qui tente de camoufler des plaies non cicatrisées.
Pourtant, lui (in)carnation pure de ce pays, de ce système, ne tue pas. Il s'accroche à ce bout d'humanité. Cette minuscule, dérisoire mais fondamentale conscience qui l'anime, malgré son corps "prêt à tuer". Lui, l'inadapté, qui a connu l'enfer que seul lui peut comprendre, se transforme. Il finit par faire du monde entier son terrain de chasse.
Au fond, si les suites de ce film ont réussi à, semble-t-il ,occulter dans la mémoire collective toute la charge politique, sociale et psychologique de ce First Blood ce n'est pas anodin.
Personne ne voulait de cette vérité, personne ne voulait de cette responsabilité, de ces hommes qui reviennent et qui sont rejetés.
Par l'arbre qu'on abat lorsqu'il n'est plus utile
Par le soldat qui meurt dans les bras de sa fille
Par la colombe meurtrie dont on a plombé l'aile
Par la proie dévorée car elle était trop frêle
Par l'eau donnant la vie et récoltant les pleurs
Par le feu qui réchauffe et fait brûler les fleurs
Par le vent qui récolte toutes les moissons du ciel
Par la terre qui nourrit les plantes au goût de miel
Je vous salue, Rambo