La porte Rashomon, fruit de toutes les tentations...

Nous y voilà, après dix découvertes lors de mon marathon, le voici, le premier de la longue filmographie du Maître que j'ai déjà vu, qui m'a marqué comme rarement et que j'avais terriblement hâte de revoir après de longues années, autant dire que je lui porte une tendresse particulière.
Difficile de démarrer une critique d'un film de cette renommée qui a tant apporté à l'industrie du cinéma. Quand je lis que l'étape favorite de Kurosawa dans la réalisation de ses films reste le montage. Je ne peux m'empêcher de l'imaginer apporter ce savoir faire, ce soin si particulier et surtout à quel point il a dû prendre du plaisir avec celui là.

Véritable précurseur dans le genre de la narration non linéaire qui en a inspiré tant par la suite. Rashōmon s'inspire lui même d'une nouvelle écrite par Akutagawa Ryūnosuke. Le film change radicalement de contexte 5 productions d'affilés sur l'après-guerre, nous sommes en 760. Pluie diluvienne en fond sonore, on fait la connaissance d' un énigmatique personnage joué par l'omniprésent Takashi Shimura, qui répète d'un ton glaçant inlassablement la même chose, "je ne comprends rien, je ne comprends rien du tout" ...
Le cadre est posé, notre attention est captée, on veut savoir autant que le passant qui vient de se réfugier à quoi peut-il bien faire allusion ? Après des minutes étouffantes alimentant le suspens, il finit par expliquer que la police enquête sur un crime qui a coûté la vie d'un homme, jusque là rien de transcendant. Si ce n'est que les 3 témoins, le meurtrier présumé, la veuve et le mort lui même ramené par un Chaman interrogés par la police, donnent une version bien différente de ce qui s'est passé, le casse tête pour prêcher le vrai du faux peut commencer...

Le procédé que met en place Kurosawa est une prouesse telle qu'il va être difficile pour moi de vous expliquer pourquoi Rashōmon est extraordinaire sans vous le gâcher. Cette fois plus que le fond d'est bien la forme qui est travaillée avec minutie, précision et justesse. S'il y a des éléments communs, plus on réfléchit aux témoignages qui défilent sous nos yeux, puis il est difficile de faire la part de choses, chacun enjolivant sa propre version de l'histoire pour dissimuler ces vices, tout en s'accusant paradoxalement.
Esthétiquement parlant, c'est encore une fois magnifique, cette façon de filmer les paysages et de nous faire ressentir ces variations comme si on s'y trouvait, un chaleur étouffante ou des pluies diluviennes ne font que renforcer plus l'immersion. Et côté interprétation, je tiens à souligner un Mifune à contre emploi jusqu'alors cantonné à des rôles sérieux qui joue ici un bandit exubérant presque hilare, absolument délectable.

En mettant en place son échiquier géant, Kuro en état de grâce nous entraine dans un puzzle inextricable dans lequel chaque pion à son importance. Rien n'est laissé au hasard, chaque plan, chaque témoignage, chaque incohérence du récit de nos protagonistes apporte sa pièce à l'édifice. Un véritable petit bijoux qui en plus de ses qualités intrinsèques se permet de porter un message fort, sur l'homme et ses vices, la croyance en l'humanité et la possibilité de changer. Le 7ème art dans toute sa splendeur...

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