Un symbiote infiltrant les références que l’on aime pour pouvoir exister

APRÈS SÉANCE


En 1999, nous avions eu Matrix. En 2009, nous avions eu Avatar et en 2018, nous avons… Ready Player One (?) Je n’ai vraiment pas envie de rentrer dans le vieuxconnisme, et je ne suis pas du tout un adepte du « c’était mieux avant » mais je ne veux pas croire que RPO deviendra un pilier de l’art cinématographique au même titre que Matrix. Ready Player One est assurément un film précurseur dans l’utilisation de nouvelles technologies. Oui, c’est vrai. Et alors ? Cela en fait automatiquement un film bien réalisé ? Ready Player One est assurément un film inondant le spectateur de références sur la pop culture « geek° ». Oui, c’est vrai. Et alors ? Cela en fait automatiquement un film bien écrit ?


° Entre parenthèse, j’ai toujours détesté l’utilisation contemporaine du terme « geek ». C’est un autre débat mais pour moi, un geek a toujours été une personne capable de donner l’heure en binaire ou de dire « bonjour » en klingon. Pas un gars qui maitrise super bien les filtres snapchat… Mais revenons à nos moutons :


En 2045, le monde est devenu une terre désolée où règne la pauvreté, la famine et les guerres. Pour fuir cette morosité, tout le monde se réfugie dans l’OASIS, une société alternative et virtuelle conçue comme un MMORPG. A la mort du concepteur de l’OASIS, celui-ci informe tous les participants qu’un easter egg a été caché et que la gestion l’OASIS (+ 500 milliards de dollars) sera transmise à la personne qui le retrouvera. Wade Watts (Tye Sheridan), aka Parzival dans l’OASIS, va tout faire pour trouver cet œuf de Pâques afin de préserver l’OASIS de la société IOI, et de son dirigeant Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn), souhaitant exploiter commercialement l’univers parallèle.


SUR LE FOND : 4 étoiles


Sur le papier, l’intrigue est loin d’être inintéressante. Même si on comprend dès le pitch que les méchants n’ont pas d’autres raisons d’être méchants que d’être méchants, il y a moyen de dégager une sympathique quête de SF. Il n’en est rien, Ready Player One laisse en bouche un goût fade et triste à cause de la faiblesse des enjeux et des personnages.


Alors oui, le film déverse des pelletées de références (certains parlent d’hommage, j’appelle plutôt ça de l’exploitation) mais attention, que ce soit clair. La pop culture des années 80 à nos jours fait intégralement partie de ma culture. C’est celle qui m’a été inculquée par mon frère (qui sait encore aujourd’hui à 35 ans la puissance des sons 19, 65, 09 et 17 dans Sonic 2) et que j’ai continué à développer au fil des années. Dans les années 90, j’étais Fei Long dans Street Fighter 2, Kun Lao dans Mortal Kombat 2 ou Alex dans Street of Rage. Ces avatars me parlent, ces références font partie de mon paysage multiculturel. Mais le simple fait de me glisser Freddie Kruger ou Chun-Li ne me fait pas sautiller sur mon siège au point de fermer les yeux sur les sérieuses lacunes de scénario. En réalité, RPO est un symbiote infiltrant les franchises que l’on aime tant pour pouvoir exister.


Parfois évidemment, cela fonctionne. Il serait malhonnête de dire que je n’ai pris aucun plaisir à voir la DeLorean, la Batmobile, l’Interceptor, et la Plymouth Fury dans une course en plein New York. Mais globalement, l’histoire est loin d’être innovante et est truffée d’incohérences :


Déjà concernant les technologies permettant d’accéder à l’OASIS. J’ai bien compris qu’elles étaient diverses, plus ou moins high-tech et chères, mais il n’y a aucune explication sur leur fonctionnement. Pourquoi certains ont besoin d’un tapis roulant pour les mouvements ? Pourquoi d’autres sont tranquillement installés dans leur fauteuil ? Et sur la planète Doom, pourquoi la femme (chez qui le repas est en train de cramer) doit se lever sur son canapé pour sauter sur un rocher dans l’OASIS ? Cela veut-il dire qu’elle se déplace depuis le début de la scène dans son appartement, sans se prendre aucun mur ?


Et puis, un truc tout con. Lors de la bataille finale, le Top5 sans Samantha (Olivia Cooke), aka Art3mis dans l’OASIS, est tranquillement dans le van, caché dans une sorte de cour. Pourquoi en sortir ? Mise à part le fait qu’il fallait une course poursuite à la fin pour rajouter un peu de suspens, j’entends bien.


Mais là où le film pêche le plus, c’est sur le traitement des différents protagonistes. Le personnage principal est tellement plat, sans aucune profondeur. On ne s’intéresse pas une seule fois à son background, d’ailleurs le personnage lui-même se fout complétement de sa vie.


Oh non, ma tante est morte… Bon, je retourne jouer moi !


Forcément, le personnage secondaire doit être une nana, une voisine de palier de préférence (ça aide pour l’intrigue). Bon, comme il ne faut pas non plus tomber dans le cliché de la bombasse, ils lui ont mis une petite tâche rouge autour de l’œil qui visiblement l’a handicapé toute sa vie. Eh, ça n’a pas gêné certain pour présenter un jeu tous les midis devant 3 millions de téléspectateurs depuis le 1er mars 2001 ! Le reste de la bande m’a davantage plu mais il ne tient qu’un rôle de comic relief (assez efficace tout de même). Les personnages en tant que tels ne sont absolument pas développés.


Et le méchant… Krennic de Rogue One, en plus con que Krennic. Le méchant est tellement faible qu’absolument aucun enjeu n’est créé chez le spectateur



  1. Le film commence par t’expliquer que cela fait 3 ans que le grand méchant envoie des dizaines de dizaines (du coup, ça fait des centaines) de ses sbires à la première épreuve, sans succès. L’information de départ est donc « Ce gars-là, c’est le méchant. Il est mauvais, son équipe est mauvaise. Pas la peine d’en avoir peur ».

  2. Durant tout le film, Sorrento se fait berner par cinq gamins, on se croira dans Maman, j’ai raté l’avion !


Et 3. Cerise sur le gâteau, Sorrento, tel le Grinch, découvre son petit cœur qui bat à la vue de la larmichette de Wade…


L’avatar de Sorrento est sympa tout de même. Même si un dark Superman bodybuldé est une marque flagrante du complexe face à la fadesse extrême du personnage IRL. Je ne m’attarde pas sur James Halliday (Mark Rylance), le Willy Wonka du jeux-vidéo cherchant son successeur, qui forcément doit être bizarre, ingénu, quasi attardé. Ni sur Simon Pegg (que j’adore pourtant) qui porte à la fin du film la prothèse vieillissante la plus triste et ridicule qui soit.


Au final, tous ces personnages servent une histoire à la morale assez prévisible : profitez de vos amis et de la vie réelle, ne vous enfermez pas dans un monde virtuel comme on l’a fait pendant les 2h20 du film.


SUR LA FORME : 6 étoiles


Je vais être beaucoup plus concis sur la forme, parce qu’une fois les banalités « les effets spéciaux sont ouf » passées, il ne restera pas grand-chose à dire. Alors oui, comme indiqué en introduction, Ready Player One dépasse certainement un nouveau cap dans l’utilisation de nouvelles technologies pour la réalisation d’un film. Il est vrai que la performance capture est magnifique mais étant le fondement même du film, cela me semble être le minimum. Et puis, il ne faut pas oublier que Spielberg avait un budget de 175 000 000 $ et assez de temps de post-prod pour écrire, tourner, monter et sortir Pentagon Papers.



Je ne mets jamais un film au service de la technologie, mais toujours la technologie au service du film. Elle permet de réaliser ce genre de films, mais il faut réussir à la faire complètement disparaître pour qu’on ne se concentre que sur l’histoire et les personnages – Steven Spielberg



Personnellement, je pense que cet objectif n’est pas atteint, mais je ne vais pas revenir sur la faiblesse des éléments de fond. Oui, c’est assez ouf de s’imaginer Steven Spielberg un casque VR sur la tête pour pouvoir visualiser en direct les décors numériques et ainsi déterminer les angles de vue. Oui, les effets spéciaux sont géniaux. Mais c’est tout. Et encore, j’ai trouvé les scènes de présentation de l’OASIS et de la course tellement illisibles que j’étais au bord de la nausée. En dehors des scènes numériques, il y a bien un « plan-séquence d’ouverture » qui suit le héros (comme dans 80% des films aujourd’hui) mais on dirait presque que Spielberg a voulu se rassurer de pouvoir mettre ce genre de plan dans RPO.


Comme beaucoup je pense, j’ai grave apprécié la scène de The Shining qui m’a tout de suite replongé dans l’atmosphère des Torrance. Même si je n’avais pas spécialement aimé le film de Stanley Kubrick (je suis Team-King), cette scène est très bien pensée et réalisée. Le fait de mettre un personnage qui n’a pas vu The Shining dans la scène permet aux spectateurs dans la même situation de s’identifier. Les décors sont hyper-bien représentés, on retrouve même le grain du film original. Et Spielberg n’a heureusement pas fait l’erreur de vouloir montrer un Nicholson en CGI (ou peut-être qu’il n’a juste pas eu les droits).


Au final, que retiendrons-nous de Ready Player One ? Certainement pas la BO oubliable au possible (en dehors des musiques non originales de Van Halen, A-ha ou des Bee Gees évidemment). Que retiendrons-nous ? Pour le comprendre, il suffira de voir se répandre sur Internet les vidéos du style « Les 50 références de RPO que vous n’avez pas vues » ou « Les 100 plus grands easter eggs de RPO » …


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON


NOTE TOTALE : 5 étoiles

Créée

le 31 mars 2018

Critique lue 449 fois

Spockyface

Écrit par

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