Requiem for a Dream, ou la preuve ultime du génie de Darren Aronofsky ? Quoiqu'il en soit, c'est une pièce majeure du septième art, et difficile de passer à côté. Si Fight Club est devenu l'une des références de la culture internet de ce siècle, Requiem for a Dream est devenu, lui, le film référence des reportages de M6 et autres France 2 (bon, sérieusement, c'était pas gentil de massacrer ainsi la musique de Clint Mansell). Plus je regarde ce film, plus je pense qu'il est plus efficace que les interventions de professionnels en classe de troisième.

Parce que oui, s'arrêter à la seule question de la drogue ce serait comme fumer un joint avec un filtre. Drogue ou non, c'est avant tout l'obsession qui conduira nos protagonistes à leur perte. Une longue descente aux enfers amorcée dès le début par une scission familiale des plus courantes. Dès lors, Harry et sa mère perdent pied, sans le savoir. Ils n'ont plus aucun point d'encrage si ce n'est quelques chimères éphémères. Ils nous donneront l'impression d'être heureux, mais ils ne sont heureux que par le biais de ce qui les obsèdent. Alors, ils s'y engouffrent.

Mais Harry ne s'engouffre pas seul dans son obsession, il préfère y emmener sa copine Marianne. Mais Marianne c'est plus la copine des joints d'Harry que d'Harry lui-même. Mais comme lui, elle se permet encore de rêver, d'aspirer à une vie meilleure. Seulement, comment mêler une obsession à un idéal ? N'était-ce pas déjà perdu d'avance ? Même quand ils sont heureux, nos avons mal pour eux, mal pour une jeune couple qui ne peut subsister qu'à travers la drogue.

Ce que nous suivrons pendant près de deux heures, ce n'est pas seulement une descente aux enfers, c'est la façon dont une obsession s'est emparée de chacun des protagonistes. Une obsession qui voilera leurs rêves. Le schéma est simple : un rêve, une obsession, une destruction.
Si Sara Goldfarb entretenait le rêve d'un jour passer à la télévision pour rendre hommage et à son fils et à son défunt mari, elle finira vite esclave d'une simple robe rouge, symbole d'une télévision qui ne laisse de place qu'à l'apparence, elle-même symbole de la déchéance d'une société où le paraître prime sur l'être. Et cette obsession la conduira à la destruction par le biais d'un traitement médical non-maîtrisé par un médecin peu scrupuleux, dont le profit est le seul intérêt. Sara, seule, sombre dans la folie.
Harry Goldfarb, lui, entretient le rêve d'une vie heureuse, une vie sans souci, où il rendrait sa femme heureuse. Mais le bonheur n'est synonyme que d'argent, et l'argent implique la drogue. Alors Harry devient vite esclave de la drogue, comme il est esclave d'une petite-amie qui l'enverra vers le fond pour éprouver un semblant de satisfaction. Harry se retrouve lui aussi seul, amputé de ce qu'il aimait, et amputé de ce qui l'a "tué".
Marianne Silver entretient le rêve d'ouvrir sa propre boutique de vêtements, synonyme de libération économique et d'indépendance. Mais cette recherche de l'indépendance la pousse vers une autre forme de dépendance, bien plus sombre. Elle fait d'Harry un simple objet, avant d'elle-même devenir objet, et de "mourir" en tant que tel, loin de la fille idéaliste qu'elle était.
Enfin, Tyrone partage la même pente qu'Harry, mais pas pour les même raisons. Tyler voudrait rendre sa mère fière, il voudrait devenir normal dans une société qui ne laisse pas encore de place aux afro-américains. Mais comment devenir respectable ? La drogue est la seule solution, mais aussi la plus mauvaise. Parce que Tyler finira lui aussi seul. Son rêve américain de devenir respectable s'effondre, et il est rattrapé -à vie- par une réalité raciste qu'il fuyait.

Si la drogue -sous quelque forme qu'elle soit- semble donc être le facteur premier de la descente aux enfers de chacun, c'est pourtant leurs rêves qui en sont responsables. Ou plutôt, leur obsession d'accomplir ces rêves. A quoi sommes-nous prêts pour donner le sens que l'on veut à nos vies ? Courir après nos rêves est une chose vaine, puisqu'à force de rechercher le sentiment de perfection qu'ils engendrent, nous finirons seuls, et bien loin du but recherché. Chercher à doubler la vie, c'est avant tout s'exposer à un accident mortel.

Requiem for a Dream est un de ces films qui met mal à l'aise, que l'on ne voit pas par plaisir. Pourtant, il est plein d'enseignements, et apparaît comme une véritable école de vie. Aronofsky choisit des plans très maîtrisés, e qui lui donne le pouvoir de malmener son spectateur comme il le souhaite. Comme si Aronofsky voulait faire de nous ses personnages, comme si c'était nous qui nous retrouvions en position foetale, aux pieds d'une réalité qui nous tue à petit feu.
vincentbornert
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le 15 avr. 2014

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