Je vais essayer d'expliquer du mieux possible à quel point j'ai été déçu, car je ne voudrais pas que mon texte passe pour une critique facile. Au contraire, ça n'est jamais facile de critiquer un chef d'oeuvre (chef d'oeuvre dans le sens patrimonial, pas dans le sens qualitatif, vous vous en doutez vu ma note).


Considéré ici-même et sans doute ailleurs comme le meilleur western de tous les temps, Rio Bravo rentre pourtant à mes yeux difficilement dans les codes du genre, si ce n'est par pure considérations formelles. Inspiré par le succès des séries télévisées de l'époque, Howard Hawks a en effet bâti son scénario sur les liens entre des personnages forts, bien plus que sur une intrigue digne d'intérêt. En cela, Rio Bravo tient bien plus de la comédie dramatique, et ne dispose que de peu d'éléments non transposables dans un autre contexte, dans un autre décor, à une autre époque.


Certes, le film suit un fil rouge qui fait office de classique parmi les classiques dans le genre western, mais au fil des minutes cela devient de plus en plus flagrant que Hawks relègue le noeud de l'intrigue en arrière-plan. Ce qui l'intéresse, c'est cette histoire d'amitié masculine entre quatre gaillards aux destins divers. Fatalement, le réalisateur sacrifie le rythme, la cohésion, les enjeux, et tout ce qui permet de maintenir l'intérêt du spectateur (à plus forte raison quand le film en question s'étire sur 2h20).


J'ai peu de choses à dire sur l'interprétation, qui devient du coup le point névralgique de Rio Bravo. Si ce n'est que le jeu de John Wayne m'a laissé froid, tant la star ne laisse que peu de place aux fêlures, à la moindre petite trace de fragilité qui apporterait de la nuance à son personnage. Pour le reste, Dean Martin m'a bluffé, Walter Brennan m'a plié en deux, Angie Dickinson m'a intrigué, et Ricky Nelson n'est pas dégueu. Pourtant, il manque quelque chose. J'ai trouvé la caméra de Hawks trop distante avec les humains qu'elle nous montre, et j'ai cherché en vain l'émotion omniprésente que la majorité des fans de Rio Bravo loue avec vigueur. Là encore, ça a peut-être quelque chose à voir avec l'écriture, et à la façon dont les héros interagissent avec l'intrigue principale. Si l'on prend par exemple le personnage de Dickinson, on se rend compte qu'il n'occupe qu'un rôle facultatif dans la progression de l'histoire. Sa relation avec Chance n'apporte que très peu à l'évolution de ce dernier, et en fin de compte elle apparait deux fois à des instants-clés en tant que faire-valoir pour permettre à Colorado de gagner l'estime de Chance.


Les failles de Rio Bravo ne s'arrêtent pas là. Passée la remarquable introduction, toute en économie de mots, le film devient progressivement excessivement bavard (et dire que Tarantino se prend des volées de bois vert pour les mêmes griefs), très pépère, très classique, sans crescendo ni climax. Hawks ne parvient pas à instiller la moindre tension, même dans ces scènes où la menace devrait paraître omniprésente autour du shérif et de ses adjoints. On n'échappe pas non plus à quelques énormités bien gênantes, comme l'assassinat de Wheeler (ah d'accord mais au fait... pourquoi lui ?!) ou la fusillade finale durant laquelle les protagonistes restent tous à découvert pendant 10 minutes...


Mais ce que j'ai le plus de mal à pardonner, c'est le manque de substance, l'absence de sous-texte. Qu'Howard Hawks ne gratte jamais sous la surface de son histoire pour y dénicher une deuxième dimension. Le réalisateur a bien conçu son film en réaction à la vision de l'autorité décrite dans Le train sifflera trois fois, parait-il. Mais ce qu'il en ressort est bien léger pour tenir en haleine sur 2h20.


Bref, à mon grand regret, si Rio Bravo est un western, alors c'est un western à la papa, classique sur la forme et inoffensif sur le fond, et ce n'est clairement pas ma tasse de thé. Je penche nettement plus en faveur des visions sans compromis de Sergio Leone, Sam Peckinpah, Deadwood et consorts, qui dans d'autres styles réutilisent le mythe du far west en lui apportant une réelle profondeur narrative et parfois même une vraie résonance contemporaine.

magyalmar
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le 5 mars 2017

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