C'est un drôle de film, qui sort de l'ordinaire, dans son contenu, son point de vue et même sa structure. Kelly Reichardt avait trente ans quand elle l'a réalisé. Et le scénario, elle l'a écrit forcément un, deux ou trois ans avant. Le fait déjà qu'elle soit la fille de deux flics (qui se séparèrent alors qu'elle était encore enfant) n'annonçait pas forcément une future cinéaste, mais elle s'est très tôt passionnée pour la photographie, avait de la détermination, de la suite dans les idées et des idées tout court ; ça a donné ce premier film tourné (avec de tout petits moyens dans sa région natale : la Floride) et sorti aux États-Unis en 1994, mais... distribué en France seulement maintenant, après que ses films suivants y ont fait connaître et apprécier son nom.
Drôle de film donc, court par sa durée effective (76 minutes), long par le ressenti qu'on a de celle-ci, certains plans m'étant même apparus interminables (ainsi, celui qui introduit l'un des deux personnages principaux de l'histoire, la caméra semblant s'éterniser sur le visage et le corps nu d'un homme jeune dormant sur le ventre, alors qu'il serait grand temps pour lui de se lever et de s'activer à trouver un job, comme le lui dit implicitement sa grand-mère en pénétrant dans sa chambre pour le réveiller). Film au propos à la fois dense, informulé et restant flou pendant presque tout son déroulement, mais probablement moins dans la tête de l'héroïne / anti-héroïne (ce qu'elle veut ? sa liberté, faire quelque chose de sa vie, la vivre à sa façon, devenir danseuse ou acrobate ou... "saltimbanque", à l'image de sa mère, qui les a plaqués soudainement, son père flic et elle qui n'avait alors que dix ans, pour suivre un danseur ou jongleur d'un cirque itinérant qui passait dans la ville et mourir prématurément quelques années après) que dans celle du spectateur qui ne réalise ce qui est détaillé dans la parenthèse précédente qu'à la toute fin du film et ne le comprend vraiment qu'après-coup.
Bref, cette jeune femme Cozy (dont sa mère avait remarqué l'extrême intelligence, alors qu'elle n'était encore qu'un bambin), qui s'est mariée très jeune sans aimer vraiment son mari et qui, deux enfants en bas âge plus tard, ne l'aime toujours pas, s'embrouille avec lui une fin d'après-midi et quitte leur petite maison, histoire de prendre l'air et d'oublier un peu ses marmots. L'histoire se passe dans les Everglades (que les Amérindiens du coin nomment ou nommaient "river of grass", la rivière herbeuse), à la périphérie de Miami. Elle rencontre dans un bar de l'endroit Lee, le (plus si) jeune homme qui dormait nu sur un lit, ils prennent un verre ensemble et quand elle quitte le bar, il la suit et lui propose (il fait très chaud) d'aller piquer une tête dans la piscine d'un prétendu ami. Elle finit par accepter, et c'est le début de leur aventure en commun, un certain nombre de petites péripéties minables... compliquées par le fait que le père flic de Cozy a, en coursant un pickpocket, perdu son revolver, lequel a alors été trouvé par un pote de Lee qui a confié à Lee ce revolver pour qu'il lui trouve un acquéreur. Donc, quand Lee rencontre et drague Cozy dans le bar, il a sur lui ce revolver.
Je n'en dis pas plus, j'en ai déjà beaucoup dit, mais pas trop, car le film n'est pas si simple à comprendre. En tout cas, je le vois, moi, comme un film faussement simple.
À partir du moment où Cozy et Lee se retrouvent dans le même bain, on peut voir le film comme narrant la dérive de deux losers (mais le sont-ils vraiment tous les deux ?).
J'ai dit au départ que c'était un drôle de film, assez surprenant, dans son contenu, comme dans sa structure. Concernant celle-ci, il y a une première moitié de film continue, qui présente l'environnement général de l'histoire, les différents protagonistes de celle-ci, les motivations et préoccupations de chacun, et puis quand Cozy et Lee sont contraints de quitter précipitamment la piscine où ils étaient allés piquer une tête par une chaude soirée d'été, la deuxième moitié de l'histoire (sorte de faux road movie) démarre, découpée en chapitres numérotés 1, 2, 3, 4... et générique final sur la chanson Trav'lin' light / Je voyage léger (dans une version arrangée par John Hill et chantée par Gail Wynters).
La photographie est plutôt belle. Les acteurs ne sont pas des pointures, mais se débrouillent. La fin du métrage est sèche et gonflée.
Conclusion. Plutôt bon film qui m'a interpellé et retenu. Déroutant, assez bizarre, on ressent une espèce d'enlisement dans le médiocre et la détermination (intériorisée) de Cozy de s'en sortir, d'exister, quel que soit le prix à payer. C'est un film à la morale très américaine genre swim or sink (nage ou coule), et de type "moi d'abord". Je me suis retenu de lui mettre "7".

Fleming
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le 15 sept. 2019

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