La surface de la planète s'enflamma. En une poignée de secondes, un mur de feu se souleva dans l'atmosphère et la transforma en une sorte de gigantesque brasier, condamnant toute vie à sa surface. Lentement Scarif se mourrait dans la froide immensité stellaire. Bientôt elle ne serait plus.


La bataille qui venait d'y faire rage avait tourné à notre avantage mais tout s'était compliqué à l'arrivée du croiseur impérial. En orbite autour de la planète, notre vaisseau fut rapidement pris sous le feu des forces ennemies et avait subi des dommages tels que nous devions l'abandonner au plus vite. A l'intérieur c'était la panique, plusieurs groupes avaient déjà évacué. Ma section était la dernière à rester à son bord, chacun de nous connaissant les enjeux : il fallait absolument récupérer les plans de l'arme absolue de l'Empire avant de quitter l'endroit. Cela faisait déjà plusieurs minutes que le major attendait le transfert de toutes les données sur le moniteur de contrôle. Lorsque l'intégralité des plans fut transférée, l'officier nous donna le signal et nous courûmes tous à sa suite vers la dernière navette de secours. Mais la lourde porte du sas nous barra la route et refusa de s'ouvrir. Plusieurs soldats s'acharnèrent alors à la faire coulisser manuellement, sans succès.


Une secousse se fit brusquement ressentir et tout l'endroit plongea aussitôt dans l'obscurité. Le choc nous fit nous retourner tous vers l'entrée du couloir, d'où nous savions que les forces impériales n'allaient pas tarder à débouler. Les secondes semblèrent durer une éternité, l'alarme d'évacuation hurlait mais nous laissait entendre quelque-chose d'autre. Il était inutile de dire quoique ce soit pour le savoir : nous n'étions plus seuls enfermés là. Tapie dans les ténèbres à l'autre bout du corridor, une présence funeste se manifesta par un souffle régulier, mécanique, inhumain... Il ne s'agissait pas d'un bruit reconnaissable. C'était comme si nous parvenait la respiration d'une machine affamée, prête à fondre sur nous à tout moment. Ce n'est que lorsque le rouge ardent de son sabre laser déchira les ténèbres que nous sûmes alors à qui nous avions à faire... et que nous comprimes que c'était fini.


J'avais entendu des histoires depuis mon plus jeune âge. Des récits de chevaliers aux pouvoirs inimaginables, capables de fragmenter les murs et de soulever des vaisseaux entiers par leur seule volonté. Des guerriers, divisés en deux camps ennemis, l'un servant la paix et la justice au sein de l'Ancienne République, l'autre la simple quête de pouvoir. Tous avaient péris dans une guerre quasi-fratricide, lorsque j'étais encore enfant. Les meilleurs d'entre eux en tout cas, les plus justes, n'existaient plus. Ils avaient perdu la guerre et n'avaient laissés que des mythes et des temples en ruines pour seul héritage. Un seul semblait pourtant avoir survécu et beaucoup d'histoires circulaient à son propos. Aussi cruel qu'impitoyable, il avait exterminé à lui seul les derniers chevaliers et plaçait désormais tout son pouvoir au service de l'Empire. J'avais entendu une fois la sénatrice Mon Mothma l'évoquer en l'appelant le Seigneur Noir...
C'était une légende, un personnage dont on parlait entre nous pour se faire peur et sans trop oser y croire.


Et il se tenait désormais devant nous.


Nous ouvrîmes le feu. Des nuées de lasers plongèrent dans sa direction, ne lui laissant aucune chance de riposter... Je compris que j'allais mourir lorsque je le vis avancer vers nous d'un pas résolu, son sabre arrêtant ou nous renvoyant tous nos tirs. Et le seul réconfort que je trouvai à la pensée de mourir de sa main, c'était l'idée, aussi grandiose que terrifiante, que les légendes disaient vraies.


L'idée à l'origine de Rogue One est simple : explorer l'univers créé par Lucas en s'éloignant radicalement de la lignée Skywalker pour s'intéresser à de tous nouveaux protagonistes et raconter la première victoire de la Rébellion sur l'Empire. Bien avant de vendre à Mickey sa franchise, l'ami Lucas avait pensé à des intrigues de films spin-off sans parvenir à les concrétiser sur grand écran. Seuls les événements de la guerre des clones eurent droit à un film d'animation (The Clone Wars, sorti en 2012) quand les Ewoks eux, eurent la chance de se voir décerner un diptyque (fort dispensable) au milieu des années 80, sans parvenir à rencontrer le succès attendu. Au vu de la profusion d'histoires à raconter, Lucas préféra alors déléguer ces concepts de spin-off à des écrivains et artistes qui ne tardèrent pas à développer la galaxie Star Wars via une multitude de romans, comics et jeux vidéos (des histoires désormais regroupés sous l'appellation Star Wars Legends).


Conscient que l'Episode 7 rencontrerait un énorme succès sur les écrans, les producteurs n'attendirent pas la garantie de sa réussite au box-office pour approuver l'idée d'un premier film dérivé de la saga et mettre très vite en chantier sa production. Beaucoup d'idées circulèrent (dont des films dédiés à Obi-Wan, Yoda et Boba Fett), celle dédiée à Han Solo restant la grande favorite, avant que des incompatibilités de production ne poussent le studio à s'intéresser à un vague canevas, développé par John Knoll (un des pontes de chez Lucasfilm). Toute l'idée de Knoll découlait de la simple évocation dans le générique déroulant d'Un nouvel espoir, d'une opération antérieure des rebelles pour mettre la main sur les plans de l'Etoile noire. Pas de quoi intéresser Lucas à l'époque, les plans de l'Etoile noire n'étant pour lui qu'un vague macguffin censé donner l'impulsion suffisante à sa saga des étoiles. Il n'en demeure pas moins que 40 ans plus tard, l'histoire fut considérée assez sérieusement pour mériter un long-métrage à elle-seule. Et peu importe si l'épilogue était connu d'avance, tout l'intérêt du projet tenait à délaisser plusieurs figures traditionnelles et à entretenir l'engouement des fans en développant de tous nouveaux aspects de l'univers créé par Lucas.


C'est Gareth Edwards qui fut alors rapidement choisi pour formaliser cette histoire à l'écran. Déjà responsable de l'impressionnant remake de Godzilla, le jeune réalisateur dû composer avec un cahier des charges précis (retour d'au moins deux figures connues de la saga, recyclage d'éléments emblématiques issus de la première trilogie) et un calendrier restreint tout en ayant la latitude nécessaire pour réaliser un film original dans lequel il pourrait injecter sa propre vision du mythe. L'ambition affichée d'Edwards sera alors de proposer une vision résolument plus adulte de l'univers de Star Wars et de rendre au passage hommage aux films de guerre des années 50-60. Son film sera donc non seulement un vrai film de guerre dans l'espace mais aussi le récit atypique d'un braquage au sein même de l'Empire galactique. Au départ écrit par Chris Weitz (La Boussole d'Or), le scénario sera l'objet de plusieurs ré-écritures, des scénaristes comme Christopher McQuarrie (spin doctor et réalisateur des derniers Mission Impossible) et Scott Burns étant invités à remanier l'intrigue avant que Tony Gilroy (grand pote d'Edwards) ne soit appelé au secours pour mettre le point final au script. Côté musique, John Williams céda sa place à Michael Giacchino qui, faute de pouvoir apposer pleinement sa patte sur les thèmes mythiques composés par son prédécesseur, en réalisera de brillantes variations tout en livrant quelques morceaux mémorables (le titre "Your father would be proud"). Au terme d'une production marathon, le film sorti un an après le carton de l'Episode 7 et réussit l'exploit de rattraper la relative déception engendrée par le trop sage copié-collé d'Abrams. Rogue One fut un gros succès et reste assurément à ce jour un des meilleurs films de la franchise.


Dès les premières séquences, le film d'Edwards détonne. L'ambiance est sombre, crasseuse et dépressive, les paysages désolés impressionnent par leur immensité naturelle (la séquence où Krennic vient dénicher Galen Erso). Les personnages n'ont rien des héros traditionnels, bagnards pas commodes, fanatiques à demi-tarés, espions et assassins, l'alliance rebelle prend ici véritablement les allures d'une armée des ombres melvillienne, parcourue de conflits et de dissensions (la faction radicale de Saw Guerrera agissant de manière indépendante). Les héros n'ont rien d'héroïques : Jyn Erso est presque assimilée à une terroriste au début de l'histoire, son père est prisonnier de l'Empire et contraint de faire ce dont on attend de lui. Cassian Andor est un assassin aux ordres aveugles de chefs rebelles impitoyables quand son seul compagnon K2 est un robot méfiant et antipathique, volé à l'Empire et reprogrammé par la résistance. Les Jedis n'existent plus et leur religion n'est ici représentée que par un vétéran aux allures de Mandalorien et un gardien du Temple aveugle, remarquable combattant, mais insensible à la Force. Quant à Saw Guerrera (personnage introduit dans la série Star Wars Rebels), auquel Forrest Whitaker prête sa présence, le personnage tient plus de l'extrémiste devenu fou et résigné à la mort que du rebelle idéaliste et valeureux.


Cet aspect peu rassurant des protagonistes a de quoi déstabiliser, d'autant qu'un climat de défiance s'installe entre eux dès les premières minutes du métrage. Mais cette approche ambigue n'empêchera pas pour autant l'identification du spectateur, bien au contraire. Car l'ambivalence des personnages de Rogue One n'en fait pas moins des personnages héroïques, entièrement mus par un idéal de liberté, et tend à leur apporter ce qui manquait à la plupart des héros des films de Lucas, une part profonde d'humanité qui finit d'ancrer leur trajectoire dans un certain réalisme. Même le bad guy en chef, l'odieux directeur Krennic (Ben Mendehlson, toujours impeccable), semble parfois échapper à l'archétype du méchant simpliste, quand Edwards nous laisse entrevoir quelques scènes de son passé où il semblait être l'ami de la famille Erso avant que leurs idéaux ne s'opposent. Tout aussi fourbe qu'ambitieux, Krennic ne semble désormais plus que motivé par un besoin de reconnaissance de la part de l'Empereur (voir comment le personnage demande plusieurs fois à ce que soit transmis son travail à Palpatine). Le retour étonnant du grand Moff Tarkin lui opposera un méchant encore plus perfide que lui. Décédé en 1994, et ressuscité en CGI pour les besoins de l'intrigue, Peter Cushing revient à nouveau hanter l'écran de sa présence impériale, à ceci près que ce n'est plus lui qui fait vivre son personnage mais plutôt l'inverse. Le procédé du lifting CGI sera d'ailleurs ré-utilisé plus tard dans le film pour le caméo d'une autre figure connue de la saga.


Peuplé de personnages atypiques et baignant dans une ambiance désespérée, Rogue One tend à faire ressentir au spectateur le climat d'oppression impériale, plus que n'importe quel autre film de la franchise. Une grande partie du métrage se déroule ainsi dans des environnements sordides ou pluvieux, censés figurer les heures sombres du règne de Palpatine. La Rébellion y lutte plus ou moins à découvert, contre des hordes de Stormtroopers dans des batailles mémorables, souvent filmées de manière immersive quand elles sont au sol (remarquable usage de la caméra portée), où Edwards n'hésite pas à convoquer vaisseaux et véhicules emblématiques (X-Wing, AT-AT, etc...). A cela vient s'ajouter, la menace grandissante de l'Etoile Noire. Avant Rogue One, celle-ci se réduisait à une gigantesque base spatiale dont le rayon de destruction pulvérisait instantanément les planètes qu'il touchait. Loin d'être à court d'idées, le réalisateur souhaite décupler à l'image la puissance de l'arme absolue de l'Empire, en filmant ses ravages sur le sol-même des planètes qu'elle atomise. Cela donne lieu à des visions apocalyptiques sidérantes de beauté (l'Etoile éclipsant le soleil de Jedha, l'effondrement du Temple Jedi, l'étreinte finale sur Scarif), propres à contenter tous les amoureux de SF.


Mais Rogue One c'est aussi Vador. Impossible de parler du film d'Edwards sans mentionner les deux apparitions du Seigneur Noir des Sith. Au vu de sa proximité chronologique avec la première trilogie, l'intrigue du film ne pouvait décemment pas se passer de la présence d'une telle icone. L'occasion pour Edwards de dévoiler quelques éléments propres à renforcer l'aura mythique du personnage et de nous le montrer sous un jour nouveau. Sa première apparition nous le révèle ainsi comme une créature méconnaissable, diminuée et fragile, réduit à un état pathétique dans un cryo-tube. Il semble attendre ainsi dans un palais infernal, hanté par le souvenir de sa défaite car vivant sur les lieux-mêmes de la mort d'Anakin (Mustafar prend des allures d'enfer personnel donnant à Vador l'aura d'un véritable seigneur des ténèbres). Krennic viendra troubler cette horrible quiétude et Vador reprendra vite les allures qu'on lui connait, lugubre seigneur à la répartie tranchante... et réjouissante. Dès lors, l'ombre du personnage planera sur tout le reste d'une intrigue qui s'acheminera lentement vers une séquence d'anthologie le mettant à nouveau en vedette. Le carnage final sacralise alors l'impitoyable détermination du personnage, Edwards nous le montrant dans le feu de l'action comme jamais Lucas ne l'avait fait, massacrant à lui-seul et de manière barbare toute une unité de rebelles. Instantanément culte, la scène a d'autant plus de mérite qu'elle raccroche tout juste les wagons avec le début de l'Episode 4, proposant de la sorte une continuité directe qui finit de faire de Rogue One, plus qu'un vulgaire film dérivé, un opus essentiel de la franchise.

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le 3 oct. 2018

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