Roma
7.1
Roma

Film de Alfonso Cuarón (2018)

Voir le film

J’ai hésité avant d’écrire une critique sur l’œuvre de Cuaron tant il me semblait inopportun de traiter d’un film qui a déjà fait l’objet de nombreuse appréciation tout aussi pertinente les unes que les autres. Et étonnamment j’ai apprécié autant celles adulant le film que celles, le décriant, car j’avais l’impression que toutes ces critiques retranscrivaient parfaitement l’un des constats que j’éprouvais. Il s’agit d’une peinture qui dans un exercice de style parfaitement maîtrisé parvient à éparpiller discrètement les brides d’un récit personnel et intimiste. Adhérer à ce récit c’est se désarmer face au talent de narration de Cuaron et se laisser subjuguer émotionnellement jusqu’au moment où l’affect prend le dessus et qu’un flot d’émotions nous traversent de tout part sans que l’on soit en mesure de les justifier ou de les décrire précisément. Il y a quelque chose d’irrationnel là-dedans, je le conçois, je n’ai pas peur de le dire, tout au contraire car c’est pour moi l’une des grandes forces de ce film. À défaut, on reste au stade du rationnel et dans cette incapacité à comprendre et à adhérer au langage de Cuaron, il nous reste qu’une œuvre technique pédamment exécutée et dénuée ainsi de tout sens. C’est dans cette perspective que je comprends ainsi les critiques définissant Roma comme un simple exercice de style sans fond.


Sans surprise, j’ai adhéré, et ce, dès les premières images, les premiers mots de l’œuvre posés par ce narrateur silencieux. Mon propos doit ainsi être replacé dans le contexte irrationnel exposé plus haut faisant de Roma à mon sens une œuvre tragique puissante qui l’élève au rang d’œuvre d’art, au sens premier du terme, bien évidemment, le recul me manque pour me prononcer sur le second sens.


Le premier visionnage dès la sortie du film m’a laissé dans un état d’angoisse émotionnelle complexe. Je ressentais le besoin de m’exprimer au sujet de ce film, mais en même temps je ne parvenais pas à trouver les mots d’autant que bien d’autres le faisaient si bien. Deux ans après, le besoin est devenu nécessité, un second visionnage de l’œuvre m’a alors aidé à accepter la capacité subjuguante de l’œuvre.
Si j’écris, c’est dans une démarche thérapeutique évidente, mais surtout dans une volonté d’affirmation de la qualité d’œuvre d’art de Roma, peut souligner à mon sens. La parfaite adhésion à cette œuvre d’art m’imposant alors de lui attribuer la note de 10.
Roma, c’est une œuvre tragique, une œuvre qui emprunte aux éléments antiques des tragédies humaines qui, établissant un dialogue entre le chaos et l’esthétique, ont pour objet le soulagement émotionnel du public. On est pleinement dans ce que Nietzsche nomme le Gaie savoir, gaya scienza.


La technique, c’est d’abord ce noir et blanc translucide qui permet de ralentir le temps, de neutraliser les capacités visuelles de chacun en l’invitant à scruter davantage chaque tableau à la recherche du détail qui fera sens pour lui. D’ailleurs cette technique est savamment servie par l’absence de gros plan. Chaque image de Cuaron est un plan large nous présentant les personnages dans l’ensemble plus vaste dans lequel ils s’insèrent et qui les dépasse dans une certaine mesure. Cet ensemble se raconte lui-même au gré des différents détails soigneusement placés, sans excès et sans extravagance quelconque. Si nous ratons un détail, qu’importe, car une autre histoire se raconte ailleurs, au travers d’un autre détail. Ce qui est magistral, c’est cette capacité à faire cohabiter le général et le détail, à délivrer une vision sociétale au travers de récits individuels. C’est une œuvre onirique. On est un assis à un banc, à l’écart et on regarde une foule dans laquelle nous avons tout le loisir de nous attarder sur un détail, un individu, un groupe sans perdre de vue le déploiement général de la foule qui se transforment.

Nous sommes en 1970, la Coupe du Monde de football est passée, le peuple doucement commence à s’agiter. C’est dans ce contexte que vit Cléo, la douce et bien aimée domestique de Sofia, la femme, la mère délaissée de quatre enfants turbulents. La paisible « famille » laisse alors entrevoir des tensions et des signes de dysfonctionnement réfléchissant avec le l’effervescence de Mexico en 1970.


C’est une tragédie présentant l’absurde, le risible et l’émouvant de vies diverses plongées dans une société vivante. Et cette tragédie est incroyablement portée par la délicate et sublime performance de Yalitza Aparicio qui retranscrit à merveille le stoïcisme de Cléo dans ce chaos général.


Roma est une tragédie, une douce poésie qui constitue à mon sens une œuvre d’art qu’il faut saluer.

BoHo
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 22 janv. 2020

Critique lue 225 fois

4 j'aime

BoHo

Écrit par

Critique lue 225 fois

4

D'autres avis sur Roma

Roma
mymp
3

Chiantissima!

Maintenant qu’il est devenu une sorte de super-auteur religieusement vénéré (Le prisonnier d’Azkaban, Les fils de l’homme et Gravity sont passés par là), Alfonso Cuarón s’est dit qu’il pouvait se...

Par

le 5 déc. 2018

79 j'aime

9

Roma
Kiwi-
8

Gravité des symboles.

La scène d’introduction annonce d’ores et déjà la couleur : une flaque d’eau ondulant sur le sol, reflétant un avion en partance pour un ailleurs, le tout baignant dans le noir et blanc de Galo...

le 18 nov. 2018

73 j'aime

4

Roma
trineor
5

La plastique parfaite, l'œil désincarné

Franchement, j'aime tout de Cuarón... et là, le gars fait son film à l'évidence le plus personnel et le plus intime, et pour la première fois je trouve ça rigide et morne. Le genre de rencontre qui...

le 16 déc. 2018

55 j'aime

9

Du même critique

Hellraiser - Le Pacte
BoHo
5

Que dire?

En tapant ces lignes, je ne suis toujours pas en mesure de dire ce dont je pense de "Hellraiser: Le pacte", d'où ma note de 5 qui explicite mon indécision. Sans doute il faudrait que je le regarde de...

Par

le 21 févr. 2018

1 j'aime

Burden
BoHo
6

Critique de Burden par BoHo

Avec un tel synopsis, il faut dire que Burden ne part sur le bon pied. En effet, rapidement on se dit, "ouais une autre histoire de rédemption d'un suprematiste blanc". Mais on essaie de se...

Par

le 26 juin 2022

Macadam Cowboy
BoHo
8

MIDNIGHT Cowboy

Pour faire simple, excellent film avec des acteurs somptueux. Mention spécial à D. Hoffmann dans un second rôle risqué qui fait échos tant dans la forme que le fond à son rôle dans le Laureat. Je...

Par

le 4 mai 2021