Ça ne peut pas être la "Room" si la porte est ouverte...

{critique pouvant contenir quelques spoiles}


Room. Quatre murs, une fenêtre sur le toit, un évier, des toilettes, un lit, une armoire, une table, des vivres, une araignée, une souris, une voiture télécommandée et deux existences. L'une, Ma a été enlevé il y a 7 ans. L'autre Jack, est né dans ces murs. C'est son monde, le seul qui existe, celui où il a toujours vécu.


C'est à ce moment là, que nous, spectateur, arrivons. Dans cette routine que Ma et Jack ont installés. Déjeuner, histoires, lectures, sports, bain, discussions. Une routine que Ma met un poing d'honneur à tenir pour que Jack grandisse et apprenne. C'est difficile de se mettre à la place de Jack...impossible même mais Room réussit le tour de force de nous faire comprendre la psychologie de ce gamin par une écriture millimétrée de son personnage. Tout est travaillé et réaliste : ses réactions, ses coups de sangs, ses ressentis, ses peurs et ses méconnaissances. Ce qui est admis pour nous, ne l'est pas du tout pour lui. Les feuilles sont vertes pour lui, pas oranges comme quand celles-ci tombent. Le monde extérieur n'existe que par la télévision, ce ne sont pas de "vrais gens". Le monde c'est la Room et son imagination. Durant cette première heure de huis-clos magnifiquement réalisé, le spectateur en prend plein la vue et découvre un duo aussi attachant que bouleversant. A travers Ma et sa manière de transmettre à son fils son histoire et le monde qui l'entourera un jour (au prix d'un retour sur des années de mensonges !)...on découvre toute la difficulté que Jack a, à s'imaginer autre chose que cet abri de jardin.
Avec une réalisation dynamique, parfois un peu trop clipesque d'ailleurs, on vit cette première heure dans une immersion totale jusqu'à ce que Ma et Jack développent un stratagème pour, enfin, s'en sortir. Un plan où, évidemment, Jack est le héros. Jusque là c'est Ma qui a sauvé Jack. Maintenant c'est à son tour de refaire vivre sa mère.


Après une scène brillante dans le pick-up où Jack découvre le ciel, la lumière vive, Room déploie tout son potentiel émotionnel. La vibrante libération de Ma est bouleversante. C'est la première fois que ces deux là se retrouvent libres. Maintenant...on serait presque tenté de dire que le plus dur commence pour les deux. On serait même tenté de dire que le plus dur commence pour Jack.


D'ailleurs on le sent, celui-ci ne s'exprime que par l'intermédiaire de sa mère, il fuit le regard des autres...il est nostalgique de son (ancien) monde. Profondément sociologique et psychologique, Room dévoile alors une véritable réflexion sur le retour à la civilisation. A l'image du père de Ma qui n'arrive pas à adresser la parole à son petit-fils, il ne voit que le produit d'un viol là dedans, il ne voit que le violeur de sa fille. Comme un symbole, on ne le voit quasiment plus après les retrouvailles.
A l'image aussi de Ma qui est, finalement, celle qui a le plus de mal à revivre. Jack lui apprend à vivre, apprend le football, apprend à parler avec sa grand-mère, son grand-père, désormais il vit. Son côté encore "plastique" comme le dit si bien le médecin, le rend malléable, il peut réapprendre. Il le fait et c'est lui désormais qui sauve sa mère. Au bout du rouleau, sans cesse rattrapé par la Room. Lui a tourné la page avec le temps, elle, reste traumatisée par ces sept années passées en captivité.


Une fable vibrante, pleine de rage et de hurlements qui bouleverse et qui prend aux tripes. Portée par un duo tout simplement brillant. L'Oscar de la meilleure actrice est amplement mérité pour une Brie Larson une nouvelle fois terriblement sincère (comme dans State Of Grace). Elle transmet tellement de choses, tellement d'émotions et de rage de vivre. Mais il ne faut pas s'y tromper, le grand homme de ce film, c'est le petit bout que représente Jacob Tremblay. Faire une performance aussi magistrale à cet âge c'est fascinant et brillantissime. Il porte une telle innocence et à la fois une telle volonté de vivre et de rendre heureux les autres. Il est parfait et je reste admiratif de cette performance. Admiratif, tout simplement.


Accompagné par une partition musicale de qualité et d'une photographie saisissante. Jouant le jeu de la contemplation autant que du vécu, Room est un doux équilibre entre le thriller psychologique et le drame familial. Habité d'un optimisme sans borne qui fera passer chacun du rire aux larmes. Puissant socialement et psychologiquement ainsi qu'émotionnellement, les deux heures de Room sont de très haut vol (la première heure de huis-clos est fabuleuses).
Jamais répétitif et écrit au millimètre, Room dresse un portrait extraordinaire de ce duo. Terrifiant de réalisme et habité d'une joie de vivre rendant le tout captivant et saisissant, Room est une pépite, un must-see poignant, émouvant et insouciant.


Et comme une page qui se tourne, Jack et Ma vont vivre heureux en testant tout ce qui fait le monde, car ils ne savent pas ce qu'ils aiment, tout cela après avoir dit "Bye" à cette Room autant objet de malheur que constitutive de leurs passés, de leurs présents et de leurs futurs.

Créée

le 7 mars 2016

Critique lue 751 fois

15 j'aime

4 commentaires

Halifax

Écrit par

Critique lue 751 fois

15
4

D'autres avis sur Room

Room
Sergent_Pepper
6

Towards the within

Se faire un avis sur un film prend généralement les trois premiers quarts d’heure : on fait connaissance, on saisit les enjeux, les choix, on adhère ou non. La plupart du temps, le diesel est lancé...

le 16 avr. 2016

78 j'aime

4

Room
Behind_the_Mask
8

Le monde à hauteur d'enfant

Aujourd'hui, j'ai cinq ans. C'est mon anniversaire. Je suis un grand et je réveille 'Man pour le lui faire savoir. Elle me félicite, 'Man, avec ce drôle de ton dans la voix, avant de me proposer que...

le 9 mars 2016

75 j'aime

11

Room
Morrinson
4

Room on fire

Un sujet dont le traitement s'annonçait tellement prometteur... mais qui se révèle avant tout casse-gueule. Une femme et son fils séquestrés dans une cabane au fond du jardin de leur geôlier (et...

le 1 févr. 2016

72 j'aime

14

Du même critique

1917
Halifax
9

Course contre la mort

France, 1917, une prairie. Première respiration et premier mouvement de caméra. A partir de maintenant et pendant presque 2h, cette caméra ne s’arrêtera plus de tourner, de monter, de descendre,...

le 8 janv. 2020

97 j'aime

7

Nous trois ou rien
Halifax
9

La pépite française de l'année !

ALLEZ-Y ! ALLEZ-Y !!!!!!! Pourtant, je pense qu'on a été beaucoup à se dire que "non, nous n'irons pas voir le film de Kheiron". Et pourtant... Ce n'est pas le film avec les meilleurs acteurs, ce...

le 7 nov. 2015

93 j'aime

5

Sicario
Halifax
7

Les dieux de la vengeance exercent en silence, traquant l'immoral au prix de la loi

Sicario c'est surement l'histoire d'une grosse attente et aussi d'un sentiment partagé lorsque l'écran s'est éteint. Partagé, très partagé même sur le coup. Sicario était plein de promesses, doté...

le 26 oct. 2015

68 j'aime

7