Quelque part, au beau milieu du désert américain, un spectacle se prépare. Un groupe de spectateurs, armé de jumelles, s'apprête à assister à un drôle de spectacle que leur propose un policier, secondé par un curieux assistant. Le spectacle commence, et voilà qu'ils assistent à l'aventure d'un pneu qui prend vie, et qui se découvre des pouvoirs télékinésiques meurtriers. Histoire auquel participe le policier organisateur du spectacle. Mais très vite, le contrôle de son petit film vivant commence à lui échapper...
"Mais... Je croyais que c'était un film sur un pneu qui tuait des gens!" Effectivement, moi aussi je le croyais, puisque tel était le film que l'on nous avait vendu. Et si cela n'est pas entièrement faux - après tout, l'histoire du pneu tueur est bien là - cela n'est pas véritablement l'histoire du film, mais bien celle présentée dans le résumé. Si je me permets de dévoiler le véritable cheminement de l'histoire, ce n'est que pour permettre de mieux savoir de quoi il en retourne, afin de mieux savoir ce qui attend les spectateurs pour ce film, un peu comme pour Steak... Si, contrairement à ce dernier, on nous le vend bien comme une bizarrerie cinématographique, et donc moins de tromperie sur la marchandise, la présentation de l'histoire, elle, a été quelque peu biaisée. En effet, le film n'est pas véritablement cette histoire de pneu tueur, et cela pourrait donc décevoir les spectateurs venant spécialement pour cela., a venir voir une comédie trash et bizarre axée sur cette histoire. Ce qui pourrait donc venir à tromper des spectateurs déjà plus exigeants que pour Steak, ce qui est un peu une ironie du sort... En réalité, le film renferme un scénario bien plus inaccessible, et demande au spectateur à être encore plus exigeant et s'attendre à une histoire encore plus délirante. Mais un délire tellement autre, tellement moins "conventionnel", si je puis dire, qu'un pneu tueur, qu'il laissera probablement encore plus de monde sur le carreau que son précédent métrage...
En effet, l'histoire du pneu tueur dans "Rubber" n'est qu'un prétexte. Les scènes constituant cette histoire pourraient en effet ne faire qu'un court métrage, l'histoire concernant le pneu tueur est somme toute basique, car le véritable coeur du film se situe dans ce jeu de mise en scène absurde et inexpliqué (mis en abîme par le fameux discours d'introduction du film sur le "No Reason"), cette relation entre les "spectateurs" et ce "film" qui vont se mélanger petit à petit au fur et à mesure du déroulement du film. Ainsi, on trouvera des gens "au courant" de cette mise en scène et d'autres complètement extérieur à cela, et ils viendront à se rencontrer pour donner lieu à une histoire complètement farfelue, que certains trouveront à dormir debout, tandis que d'autres se délecteront de cet énorme "Non- Sens" qu'est Rubber. Si les plus réfractaires trouvai,nt Steak incompréhensibles, ils risquent de faire une attaque devant ce nouveau métrage de monsieur Dupieux, qui aura vite fait de les perdre. Car c'est vraiment cela de bout en bout, "Rubber", du non sens absolu. On ne sait pas pourquoi cela arrive, on ne sait pas quelles en sont les raisons, on ne sait pas comment ces gens sont arrivés là, on ne sait pas pourquoi cela se termine comme ça. Et on ne le saura jamais, car on est averti dès le début: no reason. Il ne faut pas chercher à comprendre. Cela arrive, et c'est tout, inutile de chercher une explication rationelle. Libre ensuite à chaque spectateur d'accrocher ou non à ce délire.
Et pourtant, malgré ce constat qui peut paraître extrêmment rebutant, tout cet absurde qui constitue le coeur même du film, s'enchaîne avec une telle limpidité et un tel liant, qu'il en devient étonemment cohérent. Certains, lors des projections avant première, en sont resortis déçus, trouvant que les scènes de l'histoire des spectateurs consitutaient une rallonge artificielle de l'histoire du film. Il n'en est rien, cela s'inscrit parfaitement dans le déroulement, car il s'agit en fait du véritable axe du film. Les deux situations, les spectateurs et l'histoire du pneu, finissent par se retrouver, et ne former qu'un ensemble au final très cohérent. Mais ce qui frappe surtout dans Rubber, c'est tout ce foutage de gueule de l'univers du cinéma. Entre le groupe de spectateurs simulant tous les désagréments d'une salle de cinéma, la bouffe prposée aux spectateurs comme un entracte, le spectateur se plaignant de la fin du film (donnant lieu à une scène hilarante, pour ma part), le plan de fin... Pour moi ce fut un "message" (notez la présence de guillemets...) évident du film, et l'un des principaux centres d'intérêts.
Pour le reste, Dupieux n'en n'oublie pas certaines de ses habitudes, comme un humour dont l'absurdité est poussée à l'extrême: il ne fait pas rire avec des gags mais avec des situations impossibles, comme un pneu qui prend une douche, ou bien des lampadaires qui se retrouvent secoués par un vent qui n'existe pas. La bande son - signée Dupieux lui même et Gaspard Augé, la moitié moustachue de Justice - est également excellente, entre des mélodies et des sons très légers créant un décalage avec l'histoire et façonnant cet humour dont on parle, et aussi des morceaux très pesants, lourds, comme celui du générique d'ouverture. Niveau réalisation, c'est très brillant, malgré les maigres moyens volontairement utilisés par Dupieux et sa team. Entièrement filmé avec un appareil photo dernier cri (le Canon Eos 5D Mark II), et avec l'absence totale d'un directeur photo, le film renferme des images à tomber par terre, à la lumière sublime, et qui gagneront en valeur lors de la sortie DVD, et surtout en Blu-Ray. Dans sa manière de filmer, on se rapproche du tout premier film de Quentin Dupieux, Non-Film, où il filmait beaucoup caméra au poing. Il réitère un peu cette manière de filmer, lorsqu'il suit le pneu. Ce qui ne l'empêche pas de proposer de très beaux plans fixes (Rubber contient l'un des plus beaux plans de moustachu de l'histoire du cinéma). Le fait de se dérouler dans un univers désertique, et d'être très absurde, ne fait que renforcer cette impression. Enfin, au niveau des acteurs, si la communication du film a beaucoup été axée sur Roxanne Mesquida qui, au final, n'apparaît pas beaucoup dans le film, il est à saluer la prestation de Stéphane Spinella, trop peu mentionné, qui reflète très bien l'esprit du film, à la fois drôle et inquiétant, par tout le mystère (inexpliqué, bien sûr) qui l'entoure.
En résumé, Rubber, c'est comme Steak, voire même pire. Il ne fera que prêcher les convertis depuis le précédent fait d'armes de Dupieux. Maisi ici, profitant de gérer un projet personnel jusqu'au bout, il se permet des choses encore plus improbables, qui pourra même faire fuir des spectateurs déjà un tant soit peu exigeants. Et c'est bien là le seul défaut de ce film, et de la manière dont le réalisateur appréhende le cinéma, car le film apporte une véritable fraîcheur, par sa manière de filmer, de raconter une histoire, de proposer l'humour, sa bande son... Pour peu qu'on accroche au délire qu'il propose, on ne s'ennuiera pas une seule seconde. Certains regretteront cette approche hermétique, et cela peut aisément se comprendre. Mais après tout, ne cessons-nous pas d'entendre qu'un réalisateur se doit de filmer sa véritable vision des choses ? A ce jour, je crois que Dupieux est celui qui correspond le plus à cette problématique...