Qui dit voyage ne dit pas forcément envol à l'autre bout du monde. Grâce à Saint Amour, la richesse de la France est mise en lumière, autant sur son patrimoine viticole que sur ses gens. Ce road-trip rempli d'ivresse et d'amour, nous embarque dans son taxi le temps d'un film.


Dès les premières secondes, l'ambiance particulière de Kervern et Delépine transpire à l'écran, tant l'image est brute de vérité. On entre en plein salon de l'agriculture, parmi ces gens fourmillant par milliers, en tentant de se frayer un chemin, puis Benoit Poelvoorde apparaît avec son charisme habituel. Suivi de peu par notre Gérard Depardieu national, qui semble ravi de quitter sa Russie pour mettre les pieds au salon. Le tandem n'a pas besoin de beaucoup de temps pour s'imposer à l'écran. Leurs premiers échanges, comme dans tous les films du duo de réalisateurs, sonnent vrais et bien loin des dialogues récités.


Depardieu, se retrouve devant son fils, incontrôlable, qui comme chaque année, fait la route des vins sans quitter le salon. Enchaînant verre sur verre, dans l'unique but de dépasser ses "10 stades de l'ivresse", son père décide sur un coup de tête de l'emmener faire la véritable route des vins, dans le but de se rapprocher de lui. Ils embarquent ainsi dans le taxi piloté par Vincent Lacoste.


A l'instar des autres films des créateurs de Groland, cet itinéraire initiatique sera à base de rencontres oniriques et loufoques. Comme une longue fable, les personnages croisent la route d'une multitude de gens hauts en couleurs. Filmer les petits gens, ceux qui sont rarement mis en lumière mais qui accompagnent notre quotidien, c'est le fil conducteur de tous les films des réalisateurs. On assiste ainsi à un défilé absurde ; une serveuse plutôt nulle et dotée d'une grande timidité, qui se révèle être une grande angoissée de la dette publique, un Michel Houellebecq en hébergeur improvisé sur le bon coin, proposant des jeux pour enfants et dormant dans le garage pour se faire de l'argent de poche, ou encore Céline Sallette, armée d'une chevelure rouge vive, en femme pré-ménopausée en quête de sperme fertile. Toutes ces rencontres alimenteront le voyage de notre trio, permettant de faire évoluer leur cheminement personnel.


Parmi les sujets complexes dans la vie de nos protagonistes, celui des femmes en est un grand. Poelvoorde, dragueur lourdingue et maladroit, souffre de sa solitude et recherche avant tout de l'intimité et de la tendresse. Scène d'ailleurs touchante lorsqu'il réclame des mots d'amour insensés à Céline Sallette pour parvenir à lui faire l'amour. Ses larmes, peu habituées à sortir grâce à de si beaux mots, donnent au personnage une nouvelle profondeur. Depardieu, entre force et souffrance, nous bouleverse lorsqu'il parle à la messagerie de sa femme décédée, jusqu'à ce que la boîte vocale soit pleine, ceci mettant définitivement fin à son lien réel avec elle. Puis Vincent Lacoste, en beau parleur imbu de lui-même, s'invente une vie de père de famille comblé pour cacher son pucelage. Ces apparences trompeuses pour révéler un mal-être commun : celui de la solitude. Ce road-trip permettra aux trois de se retrouver face à leur démon pour, évidemment, le combattre.


La relation compliquée entre le père et le fils évoluera au fil du voyage et de ses rencontres. La poésie coutumière des deux grolandais respire une fois de plus, et transforme ces deux brutes en un touchant duo. Car ce voyage n'est qu'un prétexte pour se rapprocher de son fils et affronter son passé d'antan : l'alcoolisme. Pas toujours subtil dans son traitement, la question de l'alcool est omniprésente. Un ancien alcoolique accompagné de son fils, prenant le bon chemin pour le devenir, ont tous deux l'amour du vin, un amour difficilement contrôlable. Les lourdes séquences de beuverie sont un peu imposantes et prennent trop de place face au véritable questionnement de leur alcoolisme. Dommage de ne pas avoir plus approfondi cette question. Le père se remet à boire, pour se sentir plus proche de son fils, mais jamais on ne sent le mal-être de cette reprise. Seulement lors d'une scène, éblouie par la belle Chiara Mastroianni, père et fils se surprennent à savourer un verre de vin avec quiétude, admettant que boire est avant tout un plaisir des sens avant l'envie de s'alcooliser.


Les acteurs sont à leur habitude excellents. Benoit Poelvoorde toujours aussi sincère de jeu. Épatant de justesse, il incarne véritablement son personnage, grâce à son excentricité qui balance en permanence avec sa délicatesse. Gérard Depardieu, à l'instar de son fils à l'écran est à la fois immense et touchant. Gros ours au cœur tendre, il arrive malgré la force de son corps et de son charisme à nous fendre le cœur. Vincent Lacoste fait du Vincent Lacoste, désobligeance habituelle et imbu de sa personne, il s’affirmera plus fragile qu'il ne l'est, grâce à une révélation qui n'en est pas vraiment une. Puis Céline Sallette en Vénus, rousse mi-humaine, mi-rêve imagé, en dépressive, détonne dans le tableau. Cette séquence où elle flâne vêtue d'une robe verte dans Paris sur son cheval, est hypnotisante de liberté.


Si le Saint amour n'a pas la puissance poétique de Mammuth ou l'impertinence du Grand Soir, il n'en reste pas moins une balade chimérique entre des êtres en quête d'eux-mêmes et d'amour. Un amour qu'ils vont tous trois trouver en Céline Sallette, cette Vénus irréelle qui leur comblera leurs manques. Fin idyllique aux airs de conte pour enfants, à l'image du film : entre rêve et utopie.


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Black_mamba
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le 4 avr. 2016

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