Secret d'État
Sans excuses, aux pieds foulés, l’économie du paraître passe par l’héroïne, sous Nixon, Reagan et les autres, on prétend lutter contre les gros producteurs, mais l’épidémie du crack à 5 dollars s’intensifie, de pire en pire, dévolue aux prêts sans retour de pitance, la guerre des gangs s’étale dans les quartiers du bas, augmentant le taux de toute forme de criminalité, et en haut, la Californie brille d’un soleil stupide pour gens plastiquement heureux. Gary Webb étudie les saisies sur le marché noir, ses données n’entrent pas en corrélation avec ce qui sort de la bouche des officiels. Il offre une Tiger Sport Triumph à son fils pour faire briller ses seize ans.
Des flaques de récidives dans les yeux, Raffie vendait régulièrement 4000 kilos de CC au Gouvernement. Le procureur fédéral et ses hommes de main ont laissé traîner un rapport embarrassant, où s’y étalent toutes les compromissions entre la CIA et certaines mouvances paramilitaires s’étirant du Nicaragua au Panama. Pourquoi prendre une baleine pour attraper un poisson-chat ? Danilo Blanton figure à tous les coins du dossier. Gary travaille pour le Mercury News, du côté de San José, la sécurité nationale et le crack font si bon ménage que les armes sont offertes aux dealers. Les cadavres de la jeunesse américaine mènent à la sécurité nationale, le refus de la servitude et l’idéal de liberté en étendard, un amoncellement de démons grimpant dans le sang. Mais les grands très grands médias l’affirment : il n’y a jamais eu de conspiration dans ce pays. Jamais. Non, jamais. On envoie bien des inconnus moustachus pour espionner, des repris de justice pour provoquer, des excités manipulables pour nourrir la méfiance, justifier la répression, les intrusions et le grand contrôle, prendre la vie des justes et en faire un spectacle de cirque. Cela ne signifie rien. Car l’on sait s’y prendre envers les récalcitrants à la Webb pour les décrédibiliser, leur coller de sales réputations de dérangés, mauvais pères, ou autre, on trouve toujours. C’est ce qui arrive quand on pêche trop près du bord des choses, on ramène un monstre, qui au départ voulait faire le bien, au nom du bien, pour le bien, contre le mal, tout contre, puis qui pourchasse et tue des innocents qui ont eu le tort de vouloir des élections libres, puis qui travaille pour un cartel, et termine dévoré par sa soif de pouvoir, le bien noyé dans la pourriture d’une décharge collectivement amnésique. Webb avait compris, il ne retrouvera pas de travail, trop droit pour le milieu. On le retrouvera avec deux balles dans la tête. Logées démocratiquement dans son encéphale, à la lisière d’un monde faussement habitable. Question d’élimination sanitaire sous le feuillage des contraires qui se balance à la fin des fins, dans un vent pour stupéfaction hors-normes.