Pitch:
De manière frontale, Shame aborde le problème de l'addiction sexuelle dans la peau d'un trentenaire, Brandon (Michael Fassebender) qui devra répondre à sa vie hybride lorsque sa soeur Sissy (Carey Mulligan) déborque sans prévenir chez lui, à New-York.


Le hasard du calendrier est parfois bien fait. Ou plutôt, la collusion de certains films; Shame et A Dangerous Method, provoque dans des moments d'égarements méditatifs, une liaison fascinante pour deux films qui joués par le même acteur, Michael Fassebender qui se dévouant corps et âme à son (ses) personnage(s) proposent une symétrie opposée mais dialoguant sur un même sujet finalement: la sexualité.

C. G. Jung est un médecin, psychiatre et philosophe qui avait analysé l'âme humaine sous ses aspects les plus frappants et cherchait dans la psyché humaine, des réponses sans doutes vaines d'ailleurs, aux mystères de l'érotisation et de la pulsion sexuelle qui régit les êtres humains. Et ceci, sans oublier d'en avoir été un également, avec ses qualités et ses faiblesses.

Dans le film qui nous intéresse, Steve McQueen pourrait aisément jouer le rôle du psychiatre, mais la version moderne de celui-ci, proposant une vision d'une trentenaire new yorkais souffrant d'addiction sexuelle assouvie par les propositions partout et tout le temps de notre époque: porno hard sur Internet, sexe tarifé à toute heure, livres et magasines disponibles partout, boîtes de nuit ouvertes tout le temps, salons pour triolisme et j'en passe.

Celui-ci sera accompagné dans le film par sa soeur, dont la relation presque incestueuse, mettra certainement le public mal à l'aise autant que le peu de mots, vitaux distillés au compte gouttes dans le film.
Si Michael Fassebender est absolument incroyable et qu'il se dévoue corps et c'est peu de le dire, et âme à son personnage, Carrey Mulligan qui joue Sissey, ne démérite de loin pas sa place dans le film et donne le souffle nécessaire à ces espaces, lieux hantés par le vide du manque de sens de leurs vies, de s'exprimer.

Les lieux, magnifiquent filmés, sur un réel ton froid et qui ne cherche pas à faire du porno chic, hormis une séquence à trois discutable de par sa durée, complètent l'universalité du propos qui permet de donner quelques pistes de réflexion au spectateur mis mal à l'aise par la sincérité désarmant et nue de sexe explicite: dans une boîte de nuit échangiste, dans une scène de douche ou toilettes où la masturbation n'est que le prolongement obsessionnel d'une scène d'une autre scène de masturbation sur un site Internet, etc.

Rien n'est épargné au spectateur, non pas pour le choquer de manière gratuite, mais pour l'interroger sur son rapport au(x) corps, au sexe, à la libido et à la mort.
Car c'est la mort de l'âme et des relations amoureuses que le film présente également.
La soeur de Brandon n'arrivant pas non plus à construire quoique ce soit, se donne le plaisir ultime dans un suicide mis en scène de manière crue mais également sans fard.

Et c'est ce travail méticuleux et photographique, aux portes du documentaire poignant et sincère, que nous renvoie Shame:
Sommes-nous des animaux animés uniquement par des pulsions sexuelles?
Existe-t-il un territoire où la fusion des corps de manière bestiale peut-elle être considérée comme une nécessité, voire une victoire sur l'autre?
L'addiction sexuelle n'est-t-elle vraiment qu'une triste et une pathologie propre aux hommes? Les femmes ne sont-elles par leur nature même, des créatures propres et dédiées à ces archétypes de reproduction et manipulation du plaisir pour mieux échanger, procréer, faire prospérer l'espèce humaine?
Le sexe même froid et brutal, est-il moins bien ou pire que les masques aseptisés que nous portons?

Peut-on vraiment "baiser" sans honte?
Qu'est-ce que l'amour dans tout ça?
Quelle est la définition de l'amour dans tout ça?
Est-ce un bien ou un mal vraiment?
Les quelques secondes de jouissance, ou la petite mort comme l'on dit, en valent-elles autant la peine? Méritent-elles autant de souffrance? Sont-elles vraiment si inutiles qu'on veut bien le dire?

À ces questionnements plus fins auxquels on songet, Shame n'apporte aucune réponse si ce n'est celles que l'on veut bien puiser en soi et se donner.
Le film présente une vision auteuriste, certes qui ne plaira de loin pas à tout le monde, car oui on peut tout montrer pour perturber, pour faire une mise en scène bien spécifique, analytique et pourtant si détachée également.

En un certain sens, ce choix radical qui pourrait s'apparenter à une brutalité sexuelle et maladive d'un autre film choc comme Antichrist de Lars Von Trier fait mouche, et l'on en ressort boulversé et frappé par notre rapport à la place que l'on accorde au sexe dans notre vie, à quel point on voit que tout part (partirait?) de cette base là, de cet instict animal qui est le plus puissant qui existe sur terre et qui fait bouger le monde.

Sexe qui n'a de loin pas le même sens partout, à nulle part.
Sexe sans odeur et triste à en mourir.
Mort(s) des phallus et vagins épuisés de va et viens mécaniques.

L'obligation de jouir est-elle une composante de notre société?

Shame ou le premier chef d'oeuvre puissant et définitif de ce début 2012.
"Explicit content for mature people"
"Time like it's in the soundtrack it's running. We are not programmed to live forever"
"To stay forever".

..."Let's fuck.

Really?"

Note: 9/10

Trailer: http://youtu.be/62nelnMXW3M
Aeneman
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le 13 janv. 2012

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