Un « Tiens » vaut mieux que deux « Tu l’auras ».

Shining est une œuvre à part entière que l’on associe au genre horrifique bien que le film n’emploie pas les outils et les visuels classiques du film d’horreur. Bon nombre de critiques reprochent au grand Stanley de ne pas avoir saisi les spécificités et les attributs du cinéma d’horreur (cf D. Cronenberg, « Pour moi, Kubrick n’a jamais rien compris au cinéma d’horreur. Je ne pense pas qu’il savait ce qu’il faisait. »). Très bien. Donc Kubrick, parce qu’il a fait le choix de ne pas respecter les « critères » du cinéma d’horreur n’a alors rien compris au genre. C’est une vision légèrement restrictive et minimaliste à mon goût.
En quoi Kubrick revisite-t-il le film d’horreur ? Je dirais qu’il le fait sous tous les aspects de son film.
Le cadre et les décors ne correspondent pas à ceux que l’on retrouve souvent (trop souvent) dans les films d’horreur classiques. Le film débute sur un long plan en hélicoptère (qui semble d’ailleurs ne jamais prendre fin) dont le but est de guider le spectateur à travers des paysages de montagne où règnent calme et sérénité. L’Hotel Overlook ressemble plus à un hôtel familial qu’à une « maison hantée ». Alors que la plupart des films d’horreur misent sur l’obscurité pour créer un sentiment d’angoisse, Kubrick n’hésite pas à user d’une forte luminosité pour filmer les scènes les plus troublantes.
Je pense alors que l’objectif de Kubrick est d’apaiser le spectateur et de créer une certaine normalité (dans les activités routinières des personnages dès leur arrivée dans l’hôtel.) D’où vient alors l’horreur dans Shining ? Des personnages, tout simplement. Les fans du roman de Stephen King reprochent à Kubrick de ne pas avoir suffisamment travaillé la psychologie des personnages et les liens qui les unissent. Non. Kubrick n’a peut-être pas étudié les personnages comme l’avait fait Stephen King avant lui (l’alcoolisme de Jack n’est certes pas central dans le film, le personnage de Wendy n’est pas développé), mais l’horreur apparait au fur et à mesure que Kubrick dévoile les personnages. L’horreur nait de la folie, et c’est une forme d’horreur travaillée qui se distingue de la plupart des films du genre. La scène qui m’a le plus marquée est celle où Wendy découvre les centaines de pages écrites par Jack, ressassant la même phrase : Un « Tiens » vaut mieux que deux « Tu l’auras ». Cette scène m’a littéralement terrifiée, bien plus que n’importe quel jump scare utilisé à outrance dans les films d’horreur classiques. Je pense très honnêtement que Jack ne devient pas fou lors de son séjour à l’Hôtel Overlook. La folie est au contraire un aspect de sa personnalité dont il ne peut se détacher et qui finit par prendre le dessus, jusqu’à le posséder et l’amener à tuer. Pour revenir aux personnages et aux liens qui les unissent, je vois dans l’œuvre de Kubrick une manière très particulière de dépeindre la relation qui existe entre Jack et son fils Danny. Un père et un fils qui partagent un même don : celui de voir des choses. Jack n’incarne pas la figure paternelle dont Danny aurait besoin, il n’entretient aucune relation avec son fils. Ils sont unis par un don surnaturel mais pourtant tout les séparent. La relation entre Jack et sa femme est également troublante. C’est un amour que le spectateur peine à comprendre. Wendy aime plus son mari qu’il ne l’aime, et cet amour aveugle pourrait l’amener à accepter l’inacceptable. La psychologie des personnages, et les liens qui les unissent créent ce sentiment angoissant, qu’on pourrait qualifier « d’horreur », jusqu’à la dernière seconde du film où la folie prend le dessus, car ce n’est pas le froid mais la folie qui tue Jack.
Enfin, ce qui fait la force de ce film, ce qui lui permet d’avoir un impact considérable sur le spectateur c’est la manière dont il a été filmé. Le mouvement est central dans Shining, la caméra ne cesse de suivre les personnages, ce qui donne l’impression au spectateur d’être avec Jack, Wendy et Danny à l’Hôtel Overlook. Bien que la steadicam ait permis à Stanley Kubrick d’accomplir une telle prouesse, ce sont surtout ses qualités de photographe qui font de Shining un thriller psychologique absolument remarquable.

Marine-Levain16
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le 19 janv. 2019

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Marine-Levain16

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