Nous sommes en 1975, Stanley Kubrick fait face à l'échec commercial de Barry Lyndon. Influencé par les films à succès de l'époque comme L'Exorciste, il se tourne vers le genre de l'horreur. Ne prenant pas trop de risques, il choisit d'adapter un livre du célèbre Stephen King, l'Enfant Lumière, et réalise The Shining.
Ce film fait trembler les salles de 1980 et encore aujourd'hui, est considéré comme un film brillant. Alors que les effets spéciaux de William Friedkin font sourire dans L'Exorciste, Shining n'a pas pris une ride.


Shining raconte l'histoire d'une famille dont le père, Jack Torrance, écrivain, accepte le poste de gardien d'un hôtel isolé pendant l'hiver. Il part donc avec sa femme Wendy et leurs fils Danny en direction de l'Hôtel Overlook. Le film prend place dans ce lieu coupé du monde, bloqué par la neige.


C'est grâce à cet environnement que Kubrick instaure une ambiance malsaine et oppressante. L'immensité du lieu perd les personnages : un labyrinthe végétal leur est présenté dès leur arrivée à l'hôtel. Même après plusieurs semaines, ils ne connaissent pas tout l'hôtel: Jack découvre la Gold Room au milieu du film, Danny et son tricycle se perdent dans les couloirs… L'Overlook les oppresse.
Wendy est sûrement celle qui souffre le plus de cette situation. Des infos télévisées au téléphone, elle essaye de s'enfuir vers le monde extérieur mais sans succès. A mesure que le temps passe, la neige recouvre les vitres du hall, la ligne téléphonique est coupée puis comble de l'enfermement, la chenillette est sabotée.


Placée dans des décors beaucoup trop symétriques, colorés et géométriques, les personnages manquent d'air. Les motifs des moquettes rappellent le labyrinthe. Et les couleurs dans les tons rouges montrent aux protagonistes leur funeste destin. Pour accentuer cette ambiance, Kubrick joue avec la caméra. Avec Garrett Brown et son Steadycam, il suit les personnages déambulant dans l'Overlook. On a une impression de flottement, comme si une présence les surveillait.
Environ 51 plans montrent un personnage en train de marcher. Ce qui représente 21min. La lenteur de ces scènes où l'on s'attend à une vision d'horreur à chaque tournant rend 19% du film angoissant.


Pour rendre l'exportation de l'Overlook encore plus inquiétante, Kubrick s'entoure de Rachel Elkind et Wendy Carlos. Cette dernière vocoderise la Symphonie Fantastique de Berlioz pour le thème général du film. Avec quelques cuivres et violons, la musique rythme les moments importants. De faux silences équilibrent le son tout au long du film en conservant une ambiance dérangeante (grésillement des luminaires, roulement du tricycle…)
Même son utilisation la plus basique peut faire peur. Un simple violon et un écran noir permettent à Kubrick d'indiquer le temps qui passe mais aussi de nous faire sursauter. Il utilise un procédé du film d'horreur classique et efficace: le jump-scare (saut de peur).


Stanley Kubrick arrive à créer une ambiance oppressante qui touche directement le spectateur. Ils se doutent que quelque chose va arriver mais ne savent pas quand. Jouer sur la peur de l'inconnu, ce tâtonnement dans le labyrinthe des évènements permet à Shining de terrifier juste avec un Steadycam, des motifs indiens et des violons.


La peur de l'inconnu se manifeste d'une autre façon. Au fur et à mesure du film, la logique laisse place à la folie et plus rien n'a de sens. Kubrick choisi de ne pas expliquer certains passages du film et nous laisse avoir notre propre interprétation.


Beaucoup de moments importants sont amenés grâce à un miroir. L'introduction de Tony se fait à travers celui de la salle de bain. Alors que Wendy le considère comme l'ami imaginaire de son fils, Tony apprends à Danny des choses qui vont se produire. Par la suite, les visions fantomatiques et phénomènes surnaturels sont toujours amené par un miroir.
On peut choisir de croire aux fantômes, ou de manière plus logique de considérer le miroir comme objet qui révèle la folie intérieur du personnage. L'apparition d'un serveur en face de Jack s'explique donc par la présence d'un miroir, et ne serait que le reflet de ses désirs d'alcoolique refoulé.


Pour le cas de Danny, qui voit ce qui est arrivé dans l'hôtel à travers des visions d'horreur, une explication est donnée. Dick, chef cuisinier de l'Overlook explique à Danny qu'il a un "don" que d'autres personnes possèdent: le Shining. Tony joue un rôle important et préviens Danny du danger qui le guette à travers des visions. Plus qu'un alter-ego qui hante Danny, Tony vient réveiller Wendy. La Belle au bois dormant, naïve et innocente, est prévenue du "murder" à travers un jeu de reflets.
Mais peut être que Tony n'existe pas. Danny, à travers ses yeux d'enfant, ressent certaines choses. Il n'est pas bloqué par l'amour comme sa mère et sent la folie de Jack. Ne sachant l'expliquer, il s'invente un ami. Tony, miroir de sa personne, réussit à transmettre à Wendy sa peur d'un père violent.


Le miroir peut être plus subtil. On peut voir en Jack un miroir de Kubrick lui-même. Kubrick n'écrit presque jamais ses scénarios, vit dans un manoir anglais, entouré de sa femme et ses filles. Lui aussi est hanté par les démons qu'il a créés : Alex, Dr. Folamour, Lord Bullingdon, ou encore Hal 9000… De même, Jack a des idées, il voit ses personnages mais ne parvient pas à les mettre sur papier. Il n'en ressort qu'une frustration: "All work and no play makes Jack a dull boy". Toutes ces visions seraient l'image de ses pensées.


Plus le temps passe, plus Shining nous laisses perplexe. Wendy se met à voir les hallucinations de Jack quand ce dernier se libère de la remise miraculeusement. Comble de l'incompréhension, le dernier plan nous montre que Jack est dans l'hôtel depuis 1921. Les miroirs sont de moins en moins présents, plus rien n'est logique.
L'explication est qu'il n'y a pas. Le spectateur, en plus d'être frustré de n'avoir rien compris au film, voit en Shining un miroir personnel. La vie a-t-elle vraiment un sens ? Cette perspective effrayante nous renvoie dans la caverne sombre dont seul le réalisateur aurait la lumière.


Pour nous aider à faire face à nos peurs les plus profondes, mais aussi pour sauver Wendy et Danny de la folie grandissante de Jack, un doigt se dresse: Tony. Il les aide alors à fuir un monstre terrifiant : la folie.


Pour représenter la démence, Kubrick choisit Jack Nicholson. L'acteur, connu pour avoir joué dans Vol au-dessus d'un nid de coucou, excelle dans ce type de rôle. Son visage expressif et ses sourcils malléables lui permettent de passer d'un sourire fou à un visage impassible.
Son personnage homonyme évolue tout au long du film, mais on devine très vite que quelque chose cloche. Son sourire grisant quand on lui parle de meurtre ou de cannibalisme est gênant. Dès son arrivée à l'hôtel, il se retourne à la vue des dernières clientes. On sent un désir inavoué. Mais Jack se tient bien, poli et bien rasée, pour le moment, tout n'est que supposition.
Pendant que Wendy et Danny se sentent perdu dans ce grand hôtel, Jack s'y amuse. Il révèle qu'il a l'impression de connaître le lieu comme sa poche. Ce qui prouvé quand il voit sa famille à travers la maquette du labyrinthe: Jack les surveille, il a le contrôle.


Mais dès qu'il s'agit d'écrire son livre, le père de famille devient agressif. Quand les touches de la machine à écrire résonnent violement dans le hall, il est hors de question de le déranger. On découvre un Jack stressé, assis impassible sur son lit alors qu'il est censé dormir. Mal rasé et décoiffé, on comprend qu'il n'arrive plus à trouver le sommeil.
Refoulant ses envies, Jack s'épuise. Il trouve le réconfort dans ses hallucinations. Après avoir "vendu son âme au diable", il peut enfin boire de l'alcool. De même, il redécouvre les plaisirs charnels avec la femme de la chambre 127. Cependant tout ne se déroule pas comme prévu. Il comprend à travers un miroir que la femme est un corps en putréfaction et parle à l'ancien gardien dans les toilettes de la Gold Room. Celui-ci lui annonce que le véritable gardien est Jack Torrence et personne d'autre.


Après cette "passation de pouvoir", les choses empirent. Quand Jack dit à son fils qu'il l'aime pour "toujours" on se souvient des jumelles qui veulent voir Danny rester dans l'hôtel. Et quand il réussit enfin à dormir, c'est pour rêver de massacrer sa famille. Sans que sa femme ou le spectateur ne s'en rendent compte, Jack coupe tout moyen de communication avec l'extérieur, s'enfuit de la réserve et trouve une hache. Hors de contrôle, il est bien décidé à tuer sa famille.


La pauvre Wendy Torrence est terrifiée. Elle a toujours eu peur, s'écrase devant son mari, mais s'efforce de rester forte. Elle voit la transformation inexorable de Jack sans pouvoir agir. On peut se demander qui est le plus terrifié : Wendy qui comprend mais ne peut agir, Danny l'innocence dépassé par les évènements, le spectateur qui va se méfier de son père pour les 2 prochaines semaines ou alors Jack. Ce "dully boy" rempli de frustration, qui doit affronter ses démons et résister à une tentation dont il n'a même pas conscience. Là réside la puissance terrifiante du film: user d'une maladie qui peut toucher n'importe qui du jour au lendemain. Une maladie qui effraie la famille mais aussi le malade qui ne peut fuir de soi-même.


Le peur du noir, de l'inconnu, de l'isolement, de la page blanche sont des sentiments que Shining fait ressurgir en nous. Nous ne savons pas où aller, ce que la vie nous réserve, ce qu'il peut arriver… Nous marchons à l'aveugle à travers le labyrinthe de nos vies. Ce sentiments subtil nous est rappelé constamment et provoque le malaise. Mais ce qui reste le plus effrayant, c'est d'imaginer que l'on puisse un jour avoir affaire à ses propres démons sans pouvoir rien n'y faire à part passer pour un fou.


Ces sentiments et peurs ont toujours existés, en 1980 comme aujourd'hui et sont toujours effrayants. C'est ainsi que Kubrick se sert de nos inquiétudes les plus profondes pour rendre un film, dont 19% montre des gens marcher, horrifique à souhait.

Founny_Prémaillon
10

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Créée

le 12 juin 2015

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Maple Juice

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