Alors, ça doit bien faire la 3e (voir la 4e) fois que je vois le film. Et j'aime toujours autant, si ce n'est plus. Une chose que je trouve remarquable dans ce film : autour d'une intrigue somme toute très simple et très linéaire, il incorpore des éléments qui relèvent, pour certains, de simples détails et qui en font une œuvre aux multiples niveaux de lecture permettant autant d'interprétations et d'analyses qu'il existe de personnes ayant vu le film, en allant au-delà de cette simplicité apparente et de cette linéarité qui cache quelque chose d'autrement plus complexe. Tout le monde le sait, mais c'est toujours bien d'introduire cet avis par une vérité générale. Le constat est donc le suivant : le film se révèle à la fois autant réussi pour un spectateur lambda qui ne recherche rien d'autre que le simple plaisir du frisson devant un film d'horreur que pour le spectateur averti qui le regarde d'un œil plus critique et analytique. Avec cette nouvelle vision, je reste une nouvelle fois fasciné par un certain nombre de choses : un hôtel au vécu inquiétant construit sur un cimetière indien, un labyrinthe à la fois matériel et mental, une tempête de neige menaçante qui isole ses personnages du reste du monde, une chambre sinistre, de longs couloirs vides, de grandes salles qui le sont tout autant, de savants jeux de miroirs, et des visions aux images cauchemardesques : jumelles aux voix doucereuses, au regard perçant et aux corps sauvagement meurtris ; torrents de sang inondant les murs trop propres d'un hôtel qui n'a de propreté que l'apparence ; corps désirable d'une créature superbe laissant place à celui décomposé d'une créature maléfique ; etc. Autant d'éléments évoqués avec parcimonie, sans tomber dans un piège explicatif grossier, par une mise en scène d'une précision chirurgicale, allant de l'art tout kubrickien de la symétrie obsessionnelle du plan (qu'il soit fixe ou d'une mouvance à la fluidité hypnotique - ne pas oublier que Shining constitue, avec la majorité (la totalité ?) des films de Kubrick, un chef d’œuvre technique) à l'utilisation troublante du champs/contre-champs, un procédé de mise en scène qui dévoile un art du trouble qui atteint un certain paroxysme lors d'une scène de toilettes pour le moins mémorable (en ce qu'elle annonce un basculement et un point de rupture dans la narration) et au cours de laquelle s'engage un dialogue étrange et annonciateur du pire entre un ancien gardien d'hôtel aux motivations sinistres et un Jack Nicholson aussi troublé que troublant. De ces divers éléments tant scénaristiques que visuels, et auxquels s'ajoute une bande-sonore multipliant les bruitages et les sonorités étranges, atonalistes, et inquiétantes, Kubrick stimule chez le spectateur un réseau de références tournant autour de l'horreur et de la peur et qui crée son impact à un niveau à la fois conscient et inconscient. Kubrick livre donc ici une œuvre cérébrale qui communique avec son spectateur à une échelle comparable à la communication entretenue par Danny et Dick Halloran. La communication est d'ailleurs au cœur du film. Il y a bien une césure qui existe entre l'Hôtel, replié sur lui-même, et le monde extérieur, césure qui sera marquée par l'isolement dû à la neige. Cette césure tend à empêcher toute sorte de communication. De ce fait, elle se répercute sur les personnages principaux : Danny et Wendy symbolisent l'ouverture (la communication Danny/Halloran et la communication de Wendy via la radio avec l'extérieur) alors que Jack symbolise le repli, influencé par l'Hôtel (dont le décor et les esprits qui le peuplent en font un personnage du film à part entière), un Hôtel qui représente tout un pan peu reluisant de l'Histoire américaine (massacres indiens, ségrégation raciale, mœurs troublantes). Le monde extérieur est alors perçu comme une menace, la solitude et le repli comme une finalité. A partir de ce constat peut alors se développer la folie de Jack, d'abord latente puis manifeste. Le jeu de Nicholson est d'ailleurs absolument fascinant, à la fois comique, grotesque et inquiétant. C'est quelque chose d'assez frappant : le personnage qu'il interprète n'est jamais complètement effrayant, il oscille souvent entre cet aspect et un côté ridicule et bouffon assez marqué, toujours à deux doigts de basculer d'un côté ou d'un autre. Nicholson ne catégorise pas le personnage qu'il interprète dans un style unique, son personnage est forgé et joué de telle manière qu'il peut être perçu à différents niveaux. C'est notamment de là que naît le trouble et la complexité du film : dans sa manière d'offrir différents niveaux de perception, faisant de cette œuvre un objet filmique à la fois troublant et fascinant.

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le 3 avr. 2016

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Kahled

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