* " Posse pati uolui nec me temptasse negabo " * : J'ai cru pouvoir supporter ce deuil, j'ai essayé, je ne le nierai pas / Ovide dans les Métamorphoses sur le mythe d'Orphée et Eurydice.


Di Caprio ; Scorsese ; la Deuxième Guerre Mondiale et ses fantômes ; la Folie et la gestion des traumas.


Donc autant vous dire en préambule que des intérêts personnels puissants existaient pour moi, dans ma motivation pour m'intéresser à cette œuvre. J'en savais aussi lors de sa vision au Cinéma que le film était l'adaptation d'un roman apprécié de Dennis Lehane sorti en 2003, et d'une BD de Christian De Metter sorti en 2008. Martin Scorsese signe ici enfin sa 4ème collaboration avec Leonardo Di Caprio. Les deux hommes continuent ainsi une décennie de collaboration et de complicité artistique intense, Di Caprio succédant à De Niro comme " muse " du cinéaste. Dommageable pour eux, une sortie retardée du film les prive d'envisager les Oscars pour lui. Et ainsi, la malédiction Di Caprio continuera de faire jaser jusqu'à The Revenant.


Le scénario ? Deux marshalls, Teddy Daniels et Chuck Aule, arrivent sur une île isolée pour enquêter sur la disparition d'un patient. Très vite les éléments vont s'enchaîner, dans ce qui s'apparente à un thriller psychologique autant qu'à un huis-clos où le passé de Teddy va peu à peu se révéler et troubler la perception des évènements.


Histoire tortueuse, et possédant de nombreux niveaux de lecture, le film marque moins par ses qualités formelles (ça reste cela dit un bon Scorsese, mais pas l'un des tout meilleurs selon moi) que par l'excellence et la profondeur de la réflexion qu'il sous-tend.


Notre passé. En tant qu'individu et en tant que civilisation. Et les "oublis", les ellipses, les mensonges, que nous dressons entre lui et nous, pour protéger nos psychés des traumas en tout genre. Processus fascinant. Quelle est la frontière entre un sain oubli et une culpabilité refoulée ? Entre être victime de traumatismes, et devenir coupable de les reproduire ?


Les images, les paraboles se succèdent, mélancoliques et terribles ; et s'opposent diamétralement : le songe des pluies de cendres nocturnes sur les barbelés des camps nazis succède à celui de la mort des enfants de Teddy dans l'eau pourtant si tranquille d'un lac. La mort industrielle par millions des déportés se fond dans celle, intime, d'un infanticide domestique. Le feu et l'eau. L'Histoire et l'histoire. Les statistiques et les cravates souvenirs. Et prisonnier des deux mouvances, Teddy, qui se contorsionne pour échapper au souvenir.


Di Caprio est excellent. Comme toujours. Il incarne si bien jusque dans les derniers instants cet homme qui se masque et réinvente dans cette île matrice le scénario le plus à même de correspondre à son fantasme. Quand les premières lézardes apparaissent, le trouble est joué habilement, porté par son regard perçant mais fébrile.


" Vivre en monstre ou mourir en homme de bien ? "


Le marshall éploré, comme l'homme d'un 20ème siècle si barbare n'ont plus comme réponse que la psychanalyse. Cette dernière, sur l'île comme ailleurs, finira par admettre qu'elle n'est pas la mère de toutes les solutions. La fuite en avant encore se profile, tandis que les infirmiers se rapprochent lentement de Teddy pour son dernier voyage conscient...


Le film n'est pas spécialement innovant. Ces thématiques ont été explorés ailleurs. Les psychoses, la schizophrénie et les troubles en tout genre peuplent la cinématographie depuis Hitchcock et Psychose, Fincher et Fight Club. Mais la couleur mélancolique de l'évocation, l'empathie adoptée, qui empruntent beaucoup à l'œuvre adaptée, amènent un regard intéressant d'un Scorsese qui dans Aviator avait déjà pu s'interroger sur la maladie mentale de Howard Hughes.


Et pour finir, concernant Di Caprio, il est intéressant de noter que la perte ou l'éloignement des êtres chers pour ses personnages (Femme et enfants dans Inception, Shutter Island, The Revenant...) est souvent le ressort principal de ses prestations. Il est l'un des comédiens de la cinématographie récente qui a le plus et le mieux personnifié le deuil et ses conséquences.

Farfadet_Del_Pr
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le 7 févr. 2017

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David Cathala

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