Ma relation avec le cinéma de Justine Triet aura, je le crains, beaucoup de mal à reprendre des couleurs. Quand La bataille de Solferino était l’exemple type du (premier) film réalisé avec les tripes, Victoria avait tout du deuxième essai produit avec orgueil. A moins de la voir retrouver l’énergie qui l’élevait pour son premier film, à moins donc qu’elle désire refaire un premier film, avec ses tripes, je ne vois pas comment je pourrais retrouver la vitalité, la fraicheur et la puissance qui m’avait cueilli devant cet insolent magma qu’était ce premier essai.


 J’attendais Justine Triet au tournant. Trop, sans doute. J’avais retrouvé un peu de ça dans Victoria, mais au sein d’un enrobage plus lisse et calculateur. Plus produit, disons. Et je retrouve exactement la même chose dans Sibyl, que j’aime donc autant que Victoria. Pas beaucoup, en somme. En fait s’il y a un truc que je n’avais pas prévu en sortant de son premier long c’était qu’elle basculerait vers un cinéma français plus identifié et maniéré. Sibyl, ça voudrait jouer dans une cour bergmano-allenienne mais pour moi c’est du post-Téchiné rien d’autre. Ce qui me plaisait tant dans son approche de La bataille de Solferino, c’était cette collision entre l’intime et le médiatique, la fiction et le documentaire, le couple et le deuxième tour des présidentielles, ce truc hybride et hyper stimulant qui disparait ici au profit d’une approche entièrement fictionnelle, ampoulée, qui me séduit moins puisque ça me semble beaucoup moins original et surtout parce que ça manque de cœur et d’intensité.
Toute la première partie, j’ai même retrouvé un peu de ce que j’avais détesté dans Un beau soleil intérieur, le seul film de Claire Denis que je n’aime pas. Heureusement, dès que pointe Stromboli, un vertige se joue et me plait, convoque aussi bien Godard que Rossellini, il est simplement dommage que le film vire au grotesque façon millefeuille, avec des personnages interchangeables, des jump cut et des flashbacks à tire-larigot, des séquences souvent beaucoup trop courtes. Alors oui, Efira est impressionnante dedans. Elle tient le film, d’autant qu’Adèle Exarchopoulos, à ses côtés, reste un peu trop cantonnée au rôle doloriste post La vie d’Adèle, pour lui faire de l’ombre. Mais je crois avoir adoré voir quelqu’un d’autre dans Sibyl. Je me souviens avoir été marqué par Arthur Harari dans son précédent – Il apparait ici encore, d’ailleurs, mais brille nettement moins. Là c’est Sandra Huller que je cherchais partout. Elle qui jouait la fille de Toni Erdmann dans le film de Maren Ade, elle joue ici la réalisatrice, habitée, hystérique, au bord de la crise de nerfs. Elle est absolument géniale, quel bonheur de la retrouver. Je veux revoir Toni Erdmann, d’ailleurs.
Sibyl ne devrait vraisemblablement pas beaucoup me marquer mais j’y vois de jolies choses malgré tout, notamment sur la réversibilité des rôles et des personnages miroirs. Il me semble que c’est l’un des trucs les plus casse-gueule qui soit mais que Triet s’en tire plutôt bien, même si le film est un peu écrasé sous le poids de son ambition. Au moins il est ambitieux. Bien plus que le dernier Jarmusch.
JanosValuska
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le 10 juil. 2019

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