Le found footage est la méthode la plus éculée, la plus classique et désormais la plus énervante à laquelle recourt le cinéma d'angoisse occidental contemporain. Ce n'est pourtant pas une mauvaise idée à la base : Le Projet Blair Witch, premier à recourir au procédé, garde aujourd'hui encore un éclat, une ingéniosité qui le maintiennent au-dessus du lot, à mille lieues des ficelles grossières et charlatanesques d'une concurrence ouvertement paresseuse. Au milieu de ce marasme horrifique, quelques cinéastes se sont détachés plus ou moins péniblement du lot : Wan (Insidious), Watkins (La Dame en noir), Derrickson également, qui n'en est pas à son premier fait d'arme dans le genre puisqu'il a déjà tourné l'Exorcisme d'Emily Rose, film sympa et vintage qui en 2013 reste à ranger sur le dessus du panier, pour son atmosphère enfin singulière, pour son recours humble mais confiant à des procédés un peu plus raffinés que d'ordinaire. On se rappelle Jennifer Carpenter, contorsionniste de génie, on se rappelle cette incertitude éthérée qui englobe tout le film, où les visages se déforment, où, dans chaque plan, le démon suggère sa présence. Cette conception de l'angoisse, pas fondamentalement géniale mais assurée par un travail minutieux sur l'atmosphère, Derrickson la retrouve, et la mûrit, pour Sinister. On reste d'une certaine manière dans le filon du moment, l'horreur domestique popularisée par Paranormal Activity. Mais il y a dans Sinister, un peu comme dans Insidious de James Wan avec lequel il partage beaucoup, une intelligence certaine dans la représentation de l'angoisse.

D'abord, Sinister est opportuniste. Soit une maison maudite, une famille unie, l'incursion de l'étrange dans le quotidien cloisonné d'un couple avec enfants : petite terreur middle-class de voir sa petite vie bien rangée bousculée par l'inattendu. Cet opportunisme, le film en fait sa première arme : un couteau et son reflet, ce qu'attend le spectateur et ce que le film est réellement disposé à lui donner. Il y aura, donc, du found footage. Des silhouettes fuyantes, des apparitions brutales, des fantômes éthérés ou des morts tout blancs sortis d'un film d'horreur japonais. Sinister multiplie les références : à Blair Witch, Ring, 2 Soeurs aussi (l'un des premiers films de Kim Jee-Woon), tout en se travaillant une identité propre. Rien de bouleversant, il est d'ailleurs probable que le film, par son obsession de la citation et sa multitude de petits défauts négligemment oubliés ici et là, ne survive pas, contrairement à ses maîtres, à des visions répétées ; mais la première d'entre elles est vraiment trop concluante pour qu'on se contente d'apprécier le film. Sinister est une grande réussite, parce que la plupart de ses techniques sont polies à l'extrême, lui construisant une sorte d'esthétique mutante mais puissante, calculée même dans ses excès. Le héros regarde des films au contenu angoissant ; le spectateur les voit avec lui, avant d'en constater les répercussions dans le monde réel. Très bon point pour la partie found footage, ces fameux bouts de bobine qui, comme dans Ring, initient la malédiction en plaçant le spectateur, comme le héros, au rang de témoins condamnés. Il y a quelque chose de vraiment dérangeant dans ces courts métrages qui reviennent souvent, une angoisse sourde qui ne tient pas seulement à l'horreur montrée, mais aussi à la manière de le faire, un éclairage, une façon d'immobiliser ou de bouger la caméra, une bande-son très curieuse dont on ne saurait dire si elle fait partie du film, ou du film dans le film.

De retour dans la maison, c'est alors une horreur différente qui s'installe: l'heure de piocher dans le démonisme à la mode ou le clin d'oeil au cinéma asiatique, dans un pot-pourri de références bien digéré. En mettant au même plan esthétisme (de l'image, du son, de la vitesse même des plans) et efficacité (de la peur, qui prend autant de formes que le film a d'influences), le réalisateur assure un spectacle haut de gamme qui fait oublier un scénario pas très futé et des approximations gênantes - qui ont au moins l'excuse de se retrouver chez les autres. Sinister est une nouvelle preuve que la forme, même au détriment du fond, peut faire un merveilleux film de genre : loin des crises d'épilepsie ou du montage de stagiaire des derniers Paranormal Activity, plus loin encore de la nonchalance autosatisfaite de la pléthore de "true stories" confites dans leur conformisme, c'est encore en draguant les eaux troubles des apparences (que montrer, et comment) qu'on suscite le mieux l'angoisse. Il est possible qu'on tienne, dans ce style référencé mais cohérent, enfin rempli à ras bord de l'envie de foutre les jetons, un avenir acceptable (enviable ?) pour le cinéma d'angoisse occidental, et plus précisément américain.
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le 19 févr. 2013

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Seb C.

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