Au moment où Blumhouse Productions semblait être en pleine effervescence et où des franchises comme Paranormal Activity et Insidious explosaient leur seuil de rentabilité, beaucoup commencèrent à se demander si le système érigé par Jason Blum ne commençait pas à atteindre ses limites. Avec des budgets réduits à leur plus simple expression et des équipes souvent composés d'illustres inconnus, la société comptait d'avantage sur des campagnes marketing aussi brillantes qu'exagérées, bien aidée par un bouche à oreille digital et des vidéos virales symptomatiques de l'explosion d'Internet. En bref, le tour de force promotionnel était bien là, mais masquait trop souvent des œuvres moyennes, qui ne brillaient guère passé la hype et la (re)découverte de concepts finalement déjà vus. Si Sinister n'a pas à sa sortie pour vocation de bouleverser l'ordre des choses - d'autant qu'il apparait bien moins survendus que ses pairs - il s'érige finalement près de 10 ans plus tard comme la bonne petite surprise des studios Blumhouse. Si Get Out surprenait par sa verve politique là où Upgrade étonnait par son efficacité viscérale, on pourra dire de Sinister qu'il s'érige sans mal comme une belle vitrine du film d'horreur premier degré. Une appellation faussement péjorative qui cherche en fait à souligner que si le film de Scott Derrickson ne bouleverse absolument rien, il a en tous cas le mérite de très bien faire ce qu'il propose.


Il n'y a pour ainsi dire aucun gros raté dans ce Sinister, du moins pas de ceux que l'on pourrait s'attendre à voir dans ce genre de productions. En plus d'une fin qui évite pour une fois le syndrome de la surenchère, les quelques jumpscares n'ont en général rien de trop putassier et le film fait surtout preuve d'une belle économie dans son ensemble. Envisagé comme un modeste polar surnaturel, Sinister rempli haut la main le cahier des charges, se reposant plus sur son ambiance aux petits oignons que sur l'horreur frontale et attendue. La trame reste simple : on y suit Ellison Oswalt, un écrivain d'ouvrages policiers cherchant à renouer avec son succès d'antan, et emménageant dans une bâtisse où les anciens propriétaires ont été retrouvés étrangement assassinés. L'occasion de retrouver un Ethan Hawke toujours aussi efficace dans un genre qu'il lui est pourtant étranger, le tout baignant dans une atmosphère rappelant Seven. S'attirant le scepticisme des forces de l'ordres locales et d'un doute partagé de soutien de la part sa famille, Ellison trouve dès le début du métrage d'étranges bobines 8mn abandonnées au grenier. Celles-ci sont l'occasion pour Sinister de proposer une mise en abyme des plus intéressantes. Contenant en fait des images de tueries aussi sinistres que furtives, les séquences de visionnages des bobines sont partagés à la fois entre le spectateur et le personnage d'Ellison, et semblent poser la question suivante : l'image peut-elle tuer?


C'est là que brille le film : confrontés à des images voyeuristes à la violence sèche (heureusement fictionnelles et appartenant à la diegèse du film), le spectateur peut pourtant les retranscrire à ses propres horizons. Baignant dans une société où le visuel est roi et où les clips et les reportages s'enchainent de plus en plus vite, le spectateur du XXIème siècle est pour ainsi dire habitué à consommer des images, quand bien même la plupart peuvent parfois s'avérées violentes dans la forme et/ou le fond, et ce qu'elles soient fictionnelles ou non. Un état de fait qui interroge sur le pouvoir de ces images, sur leur capacité à interagir avec nos pensées et nos émotions, et sur l'enjeu qu'il incombe de bien les appréhender. Sinister retranscrit ainsi très bien toute la complexité de cette situation via ses scènes de massacre en Super 8, qui dérangent par leur aspect étrangement froid et réaliste et qui interrogent sur la nécessitée de visionnage des contenus audiovisuels, qui ont parfois tendance à se perdrent entre la fiction et la réalité.


A cette petite démonstration de branlette intellectuelle, l'on dira donc que Sinister s'avère justement mieux branlé que ce qu'il pourrait laisser penser de prime abord. Même si le film reste dans son ensemble très classique ou attendu et même si son premier degré pourra ennuyer le cinéphile plus averti, il n'en reste pas moins un film d'horreur à petit budget d'assez bonne facture, avec suffisamment de bonnes idées et de retenue pour convaincre aussi bien les spectateurs à la recherche d'une frayeur d'un soir que les curieux pas trop exigeants. Dans tous les cas, la qualité globale de Sinister mérite à défaut de louanges, au moins une certaine bienveillance.


BONUS : le titre de cette critique renvoi à l'ouvrage L'image peut-elle tuer? de Mari José Mondzain, de même que l'analyse proposée ici a fortement été influencé par ledit ouvrage.

Bukowski-Bags
7
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le 26 avr. 2020

Critique lue 106 fois

Bukowski-Bags

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